[Tribune] Tous les dirigeants ne parlent pas de la même façon. Cinq profils se dégagent des 930 heures de discours analysées, venant d'une vingtaine de hauts dirigeants : l’inspiré, le visionnaire, le tacticien, le combattant, le didactique.
Traditionnellement, les dirigeants s’exprimaient avant tout sur les aspects financiers et les résultats de leur entreprise. Avec la loi Pacte, leur parole s’inscrit désormais dans un cadre «responsable» élargi. Il existe une extraordinaire hétérogénéité de leurs propos, selon qu’ils sont véhiculés par le biais des grands médias (télévision, radio, presse) ou des canaux internes (rendez-vous événementiels, sites internet, réseaux sociaux collaboratifs...).
Ainsi le président du groupe Vyv, premier groupe mutualiste français, Stéphane Junique, y prend souvent la parole. Il s’y exprime aussi bien sur l’exposition de photographie Un monde à guérir que sur le lien du groupe Vyv au monde de l’art, ou sur les solutions de solidarité créées dans chaque région pour son groupe. Tout est sensible et profond chez Stéphane Junique.
Comment peut-on décrypter le langage des dirigeants au XXIe siècle ? Qu’est-ce qui caractérise chacune des catégories identifiées ? En effet, en analysant les discours et les prises de parole d’une vingtaine de hauts dirigeants (CAC 40, entreprises publiques et licornes), d’entreprises françaises et internationales, entre avril et octobre 2022, soit près de 930 heures de prises de parole, nous avons identifié cinq profils majeurs de dirigeants : l’inspiré, le visionnaire, le tacticien, le combattant, le didactique.
Le dirigeant inspiré
Un élément-clé le caractérise : il est relié à son époque. Ainsi, il décrit moins son entreprise que le lien de cette dernière à la société, au monde. Il met en perspective la raison d’être de son groupe. Et, souvent, il démontre concrètement l’utilité sociale de son entreprise. Il fait face aux défis du futur, à partir d’une inspiration ancrée dans le réel.
Sur la forme, il utilise des phrases soit avec des subordonnées pour donner de l’élan aux propos, soit avec des locutions pour relier ses messages. Il parle avec des phrases rythmées emplies de souffle. Il sait utiliser les effets de rupture : «attendez, est-ce qu’on va trop vite ? La réponse est non !».
Enfin, Le dirigeant inspiré utilise une langue sensible et humaine avec de nombreuses analogies pour mieux faire passer son message.
Le dirigeant visionnaire
Pour lui, c’est la visée qui compte. Lorsqu’il parle de son groupe, il évoque très sommairement le présent, pour rapidement dire ce qu’il deviendra. Il voit grand en agissant. Il se place en acteur d’importance, voire rapidement mondial. Son thème majeur de prise de parole est la transformation digitale, écologique ou la transition énergétique. Il se projette et sait parler au futur avec science et précision.
Sur la forme, il utilise le «je», tant il incarne cette vision. Ses phrases sont articulées par l’usage de nombreux connecteurs qui traduisent la progression d’une pensée construite. Plus que de la nuance, ses propos sont portés par de la fermeté. Des verbes d’action scandent son discours : actionner, créer, innover, redémarrer, gérer, trouver des solutions, contribuer…
Le dirigeant tacticien
Celui-ci décrit son entreprise en exposant, sans imposer. Il s’ajuste et nous rappelle que penser, c’est «peser le pour et le contre». C’est un porte-parole soucieux de ses interlocuteurs, qui prend en compte leurs points de vue. La contribution du collectif nourrit ses propos, révélant un souci de toujours mobiliser les leviers de la coproduction.
La dimension sensible est toujours égale à la dimension rationnelle. Il veut s’appuyer sur son auditoire, pour le rendre partie-prenante de sa démonstration. C’est un discours qui se construit en lien avec la situation et l’interlocuteur. Il veut obtenir un accord de l’auditoire en l’interpellant à partir d’expression du type «vous en conviendrez», «je sais que vous partagez cette ambition», «avec votre accord».
Le dirigeant combattant
Le dirigeant combattant, lui, est d’une autre essence. Il met en avant la mission de son entreprise et son utilité. Il s’identifie, il fait corps avec elle. Il prône une attitude positive, il considère les crises comme des opportunités de changement. Il argumente surtout en avançant des preuves, ses objectifs étant tranchés.
Sur la forme, le dirigeant combattant implique néanmoins ses collaborateurs dans son combat. Il utilise des expressions telles «héros de la confiance», «le monde n’est pas prévisible en fichier Excel». Pour sensibiliser et illustrer, il se sert de métaphores : «on est tous dans le même bateau», «un mauvais vent souffle sur…».
L’action prévaut sur la réflexion. Bien entendu, les verbes d’actions, et les phrases courtes, très rythmées, renforcent l’énergie d’un propos toujours au service du résultat et de l’engagement.
Le dirigeant didactique
Lui parle en déployant une argumentation de cadrage pour «périmétrer» et expliquer. Il s’appuie aussi sur des arguments de communauté pour qu’il y ait partage et fiabilité des principes et des idées. Pour expliquer, il fait appel à des exemples concrets, en privilégiant des illustrations, des réalisations intelligibles par tous.
Sur la forme, il s’identifie peu au groupe qu’il représente. C’est avant tout un transmetteur. Et s’il utilise des métaphores, c’est pour expliquer plus que pour toucher. Il est à bonne distance des émotions qu’il transmet.
Hybridations fréquentes
Bien entendu, ces typologies ne sont pas à 100% homogènes, et les hybridations sont fréquentes, voire même souhaitables et vertueuses. Ainsi, un «combattant-didactique» offre un panachage idéal, touchant à la fois la raison, la logique, tout en rayonnant d’une énergie communicative et mobilisatrice. Un «tacticien-visionnaire» possède une capacité à projeter, mais aussi à fédérer son auditoire.
Attention, une «parole de vérité» a surtout besoin d’un ressenti conté sans complexe, signe d’une intégrité qui convoque les mêmes émotions de l’auditoire. Partager ses émotions, c’est être en lien avec celles et ceux auxquels on s’adresse, c’est établir un contrat de confiance.
Sans ce préalable, la parole - qui a pourtant progressé sur le plan rationnel et didactique - restera un artifice de gestion, un outil banal, sans portée. Les dirigeants parlent plus, ils doivent parler mieux.