Ressources humaines
Jusqu’en mars 2020, il a occupé l’espace médiatique. Avec la crise, le chief happiness officer s’est fait plus discret. Que devient-il ? L’effet de mode est-il retombé ? Check-up du CHO.

Le CHO – ou chief happiness officer – a-t-il survécu à la crise ? « Encore eut-il fallu qu’il existe vraiment », tacle d’entrée de jeu Didier Pitelet, président du Cercle du leadership et CEO (chief executive officer) d'Henoch Consulting. Le ton est donné. « Pur produit de la culture de l’hyper-productivisme, rappelle-t-il, ce concept – créé par Google et importé en France à partir de 2015 – a eu des adeptes. Mais c’était plus de l’ordre du micro-phénomène. Le bonheur est la ligne blanche que l’entreprise n’a pas à franchir. À chacun le sien. » Directeur de Fed Human, cabinet de recrutement spécialisé sur les fonctions ressources humaines, Sébastien Charmille n’en a recruté aucun en 2020, ni même en 2021, sur un volume de plus de 400 recrutements opérés. « Beaucoup de ramdam pour bien peu de postes checkés, une cinquantaine sur le marché, tout au plus. »

Patrick Levy-Waitz, président de la Fondation Travailler autrement, et par ailleurs chairman de France Tiers-lieux, « n’a jamais cru  au caractère durable de la fonction. Avec la crise, on constate la prise de conscience sans précédent que le bien-être n’est pas une question interne. Le temps est venu de s’occuper de la racine des problèmes, de traiter de l’environnement du travail. De quoi réduire les beaux jours du CHO. »

Julia de Funès, philosophe et experte en questions RH, qui vient de publier Socrate au pays des process (Flammarion), n'est pas plus riante envers la fonction. « La mode américaine a perdu de sa superbe, souligne-t-elle. Après un an de marasme, les CHO sont moins visibles. Il y a moins de place pour cette fonction qui suppose une présence en entreprise. »

Un rôle toujours essentiel 

Faut-il alors miser sur leur disparition prochaine ? Pas tout à fait. Chantal Ferrer-Costa a pris son poste il y a un mois, au sein de R-Pur, start-up spécialisée dans les masques anti-pollution soutenue par Station F, l'incubateur parisien de la Halle Freyssinet. Le libellé du poste ? Responsable de l’organisation interne et de la communication. On voit là le glissement sémantique qui s’opère. Il s'agit de penser l'organisation au quotidien. « Le bonheur est ponctuel, précise l'intéressée, quand le bien-être est plus constant. » D'autant qu'avec une levée de fonds prévue entre 6 et 8 millions d’euros, les recrutements vont être nombreux. « Les effectifs ont déjà été multipliés par trois en 18 mois, précise-t-elle. Il est bon de préparer le lendemain, soigner l’intégration des nouveaux venus, avec un pack de bienvenue, par exemple, et ne pas perdre l’état d’esprit qui est le nôtre. »

Chez Bluelinea, spécialisée dans la téléassistance pour personnes âgées, on parle de majordome. « Mettre de l’ambiance n’est pas l’objectif, note Laurent Levasseur, le PDG, qui vient de créer le poste en avril dernier. Est-ce que cela contribue au bonheur ? Ce n’est pas mon sujet, non plus. En revanche, veiller à avoir des équipes opérationnelles, si ! » Et son offre d’emploi a reçu pas moins de 200 candidatures.

Selon Sébastien Charmille, « le terme responsable de l’expérience collaborateur l’emporte aujourd’hui ». Le CHO a aussi ses fans. « Le libellé un peu gagdet a peut-être desservi la cause, reconnaît Caroline Draghi, responsable de la communication interne et de la qualité de vie au travail chez AXA Banque. Mais  avec le covid, cet emploi a pris de l’épaisseur. Et au sortir de la crise, l’enjeu est de taille : renforcer le sentiment d’appartenance. »

Un avis partagé par Alexandre Jost, président fondateur de La Fabrique Spinoza, think-tank du bien-être citoyen créé en 2010. « Avec 22,7 % des Français en état de dépression, selon les chiffres de Santé Publique France publiés en février 2021, le rôle du CHO n’a jamais été aussi essentiel. Après les clients,  la tâche à venir qui incombe aux entreprises est de retaper les collaborateurs, rappelle-t-il. La vague mentale va être longue. Peu de CHO ont le titre, et surtout les moyens nécessaires pour agir. »

«Collectif humain des organisations»

Comme le sparadrap du Capitaine Haddock, le taux de 65 % des postes confiés à des stagiaires colle à l’image de marque des CHO. « Tant que ce sera du “one-shot”, ludique et fun,tant qu’il sera considéré comme un Gentil organisateur (GO) du Club Med, il ne sera pas reconnu, commente Angelika Mleczko, consultante en qualité de vie au travail. Les collaborateurs ne sont pas dupes. S’i n’y a pas de budget, de cohérence, alors le doute subsistera. Le CHO est la finalité de tout ce qui sera décidé pour faire vivre la QVT (qualité de vie au travail) dans l’entreprise. Notre matériau : l’intelligence collective.» Pour mieux convaincre, un collectif a vu le jour. Si le sigle CHO perdure, son déroulé serait aujourd’hui «collectif humain des organisations». Et récemment, les équipes françaises de Microsoft ou Google ont signé. « D’ordinaire, on devait convaincre, reconnaît Sarah Macheboeuf, à la tête d’un cabinet dédié baptisé Einaï (ce qui veut dire être en grec). Là, on n’a même plus besoin. La prise de conscience est perceptible, même si ça reste plus compliqué dans les petites boîtes. »

Tous convaincus ? Pas certain. « Je n’aime pas les prédictions, conclut Julia de Funès, mais une autre idéologie fumeuse va émerger dans les mois à venir dans les entreprises : la “culture wake”, plus dévastatrice encore que le CHO. Le bien individuel incarné par le CHO va être détrôné par le bien moral, plus sociétal. Ce sera le cocktail à l’honneur en 2022.»

Trois questions à…

 

« CHO et DRH, main dans la main »

 

Alexandra Amda, directrice des ressources humaines de l'agence Adveris, spécialisée en création et stratégie digitales

 

Quel office remplit votre chief happiness officer ?

Avec une structure de 50 salariés, c’est important d’avoir un collaborateur qui travaille à la fidélisation, à la cohésion d’équipe, tout particulièrement pendant cette pandémie. Un CHO se révèle être un vecteur d’attractivité. Porter la culture d’entreprise, créer des évènements, tant en communication interne qu’externe, réaménager les locaux pour développer un cadre agréable, donner envie de revenir… Autant de missions qui lui incombent. À distance, la cohésion se délite très vite. Et maintenant, il convient de préparer le retour dans l’entreprise. C’est plus d’actualité que jamais. Aujourd’hui, la relation est étroite avec les ressources humaines, main dans la main. Et ce depuis maintenant plus de deux ans.

Avoir un CHO, un choix rare dans les petites structures ?

Les agences de taille limitée n’ont pas toujours de fonction RH, ni de CHO. On n’est pas l’exception, mais…. De pareils postes dans un organigramme représentent un investissement à long terme. Souvent, cette mission est dispatchée, de façon plus opportuniste, entre différentes fonctions. Mais pour que cela soit efficace, le CHO doit savoir se renouveler, sinon cela ressemble à un coup d’épée dans l’eau.

Avec quels résultats à la clé ?

Notre challenge a été de réussir à bien grossir. Dans le monde du digital, les postes sont très volatiles. Fidéliser est devenu difficile. Or, avec le concours du CHO, le turnover a été divisé par trois en deux ans.

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