Métiers
En première ligne depuis quinze mois, la fonction RH sort renforcée de cette crise sanitaire. De là à parler de réinvention ? Des revendications se font aussi entendre pour qu'elle soit mieux prise en compte dans la décision.

« Est-ce que cette fois va être enfin la bonne ? » Jean Pralong, professeur en RH digitales et gestion des carrières à l’École de management de Normandie, s’interroge. « Les ressources humaines se cherchent une identité, analyse-t-il, avec l’idée de sortir de cette image rigide pour s’orienter vers une posture plus sympathique. » Et comme « 2021 est l’année des possibles », pour reprendre une expression d’Émeline Bourgoin, directrice des ressources humaines de la banque en ligne ING, va-t-on assister à une évolution du métier ? À un changement radical ? Pour Mathilde Le Coz, tout récemment nommée au poste de DRH chez Mazars, cabinet d’audit et de conseils aux entreprises, « il est temps de lui donner le beau rôle ».

Chez Havas Media and Creative Network, DRH et DAF (directeur des affaires financières) partagent le même bureau. Un aménagement acté avant le début de la crise sanitaire, mais c’est le signe manifeste d’un changement d’état d’esprit qui devrait se diffuser dans le monde post-covid. « Le DRH est le fruit de ce que veut le dirigeant, explique Céline Merle-Beral, global chief HR officer. Il a une vraie place. Et ne reporte pas au directeur des affaires financières. » Plus près de toi, mon Dieu… Chief operating officer (COO) de Publicis France, Gautier Picquet parie lui aussi sur une montée plus marquée des RH au Comex (comité exécutif). « Un vrai changement va s’opérer, détaille-t-il. Globalement, 2021 et 2022 vont voir évoluer les entreprises, passant de “finance companies” à “talents companies”.  Le département RH devient la courroie de transmission de la croissance des entreprises. Cette crise a porté un faisceau de lumière sur l’enjeu des talents. On peut parler d’un changement de paradigme, avec un rôle stratégique. »

Le « en même temps » cher à Emmanuel Macron a encore de beaux jours devant lui dans le landernau des RH. Entre Comex et terrain, elles vont devoir travailler leur souplesse pour tenir ce grand écart. Un enjeu compris dans les grands groupes mais aussi dans les start-up. Ainsi, en pleine levée de capitaux (3 millions d’euros), Yohann Weihsbach, fondateur de Monsieur Student, media agency, a prévu de recruter un DRH. « Avec un doublement des effectifs, on a besoin de maintenir une réelle proximité avec les équipes pour éviter de voir fondre la culture d’entreprise. » Mais jusqu’où aller ? Des divergences se font entendre. Ainsi, pour Claire Hunout, coach professionnelle, auteur du podcast « Soulever des montagnes », la mission du DRH face aux salariés est de « tracer le chemin pour y arriver ensemble, mais ces professionnels ne sont pas responsables de l’épanouissement de chacun. »

Une question de temps

Savoir où placer le curseur va faire cogiter les services RH dans les semaines à venir. « Créer un cadre de travail différenciant est l’une de leurs missions, martèle Jean Pralong. Or ce que l’on a vécu a dégradé la communauté. Créer une communauté ou une identité va être au programme. En clair, il va falloir lutter contre les réunions Zoom et poser des nouvelles règles sur ce qu’est travailler ensemble. » Mathilde Le Coz n’hésite pas à parler « d’asphyxie » ou de « sur-sollicitation ». L’un de ses objectifs : « ne pas alourdir le quotidien des équipes ». De son côté, ING a déployé le « no meeting challenge ». Concrètement, aucune réunion les mercredis et vendredis après 16 heures ; un format réduit à 25 minutes, ou 55 maximum. « Le temps est devenu une notion clé dans l’entreprise », commente ainsi Émeline Bourgoin. « En France, on a beaucoup de mal à donner du temps, précise encore Mathilde Le Coz. Faire grandir les collaborateurs, accorder du temps à quelqu’un qui va bien… c’est souvent perçu comme du temps non productif à court terme, avec un retour sur investissement difficile à quantifier. » Est-ce que cela suffira ? « Il faudrait réinventer en France le code du travail parce qu’il est obsolète, estime Giuseppe Zara, directeur des études et de la scolarité de l'école spécialisée ESGRH. Il constitue un carcan qui freine l’activité. Sur ce plan, la France est restée bloquée dans les années 1960 ! »

Les business schools sont en ligne de mire. « Le fonctionnement des communautés n’est pas abordé dans les cursus, souligne Jean Pralong. C’est un point aveugle. Autrement dit, le sujet est peu abordé en recherche, dans les cours, et pas plus dans les médias… L’époque se concentre sur l’individu. Or un plus un n’est pas forcément égal à deux. Ce peut être 1,5 ou 2,5. Des interactions s’opèrent entre les individus. C’est le niveau méso. » Parfois, ce sont même les RH qui passent tout simplement à la trappe des programmes du tronc commun de L3 (troisième année de licence) et M1 (première année de master). Benoit Serre, vice-président de l’Association nationale des DRH, est convaincu que les écoles sont les acteurs du changement des DRH. « Les formations initiales doivent se remettre en cause, indique-t-il. La personnalité des RH doit évoluer. Très technicien jusque-là, la logique de leader doit devenir prégnante, avec des compétences en communication, une capacité à comprendre le business. Un DRH ne passe pas sa vie à recruter et licencier. » Aux référentiels de s’en imprégner. Déjà, Gautier Picquet aspire à diffuser « un “fresh air”, pour mettre un terme à l’entre-soi. Refaire la classe de l’École nationale d’administration (ENA) n’a pas d’intérêt. »

Trois questions à…

Vincent Binetruy, directeur France du Top Employers Institute

«Un périmètre élargi»

Les DRH vous paraissent-elles angoissées au sortir de la période du covid ?

Beaucoup sont fatiguées. Elles ont été tellement secouées. Certaines, ou certains, ont besoin de se poser, en étant parfois au bord du burn-out. D’autres ont négocié des ruptures conventionnelles. D’après le baromètre 2020 réalisé par les Éditions Tissot auprès des professionnels RH, 90 % d’entre eux se sentent au bord de l’épuisement. Qui s’occupe des RH ? Il va leur falloir trouver des ressources pour poursuivre l’aventure.

Est-ce un appel aux vocations ?

Le marché du recrutement sur ce segment est ultra-dynamique. Il y a pléthore de changements de DRH au sein des grands groupes. Le turnover est important. Deux exemples : Engie ou bien encore BPCE (Banques populaires et Caisses d’épargne). Avec de nouvelles pratiques mises en place, il y aura d’ailleurs nécessité à étoffer les équipes, sauf à vouloir tirer sur la corde. Déjà, des chatbots ont été créés pour répondre à 80% des questions, comme le dépôt des jours de congé, les remboursements des notes de frais… pour permettre aux RH de gagner en productivité. L’automatisation de certaines tâches est de mise, notamment pour faire face à un périmètre élargi.

Pouvez-vous illustrer l’élargissement du périmètre des RH ?

Sujet jusque-là technique, l’immobilier a tendance à passer sous le pavillon des RH. Avant la fusion, le DRH de PSA avait ainsi deux casquettes supplémentaires : la transformation digitale et l’immobilier. Les RH prennent leurs aises, de quoi générer peut-être des vocations effectivement, notamment chez ceux qui avaient tendance à trouver la fonction trop étriquée.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :