Recrutement
Devant la pénurie persistante d'experts du numérique et de pointures du marketing digital, certains acteurs en viennent à internaliser le recrutement, en partie ou en totalité.

« Divas », « rois du pétrole », « champions »… Les recruteurs ne manquent pas de termes éloquents pour qualifier la position de choix qu’occupent les profils digitaux sur le marché de l’emploi. Qu’ils soient développeurs, data-analysts, product owner, product manager, UX ou UI designers, devOps ou experts du marketing digital, ces spécialistes du numérique ont le choix face à une pénurie toujours aussi criante.

Paradoxalement, les entreprises ont leur part de responsabilité dans cette raréfaction. « Il y a une croyance qui veut qu'un candidat qui n'a pas trois ans d'expérience ne peut pas faire le job, explique ainsi Charles Oldroyd, DRH de MoovOne, une plateforme de coaching digital. Les entreprises ne veulent pas prendre de risque, en particulier les start-up qui sont plus sensibles à l'enjeu de l'expérience car elles n'ont pas un management ayant la maturité nécessaire pour bien cadrer les collaborateurs. »

La crise, en faisant évoluer la demande à une échelle européenne ou internationale, n’arrange pas la situation, ajoute Stéphanie Florentin, fondatrice de Edgar People, agence spécialisée dans les profils digitaux de l’univers du marketing, de la communication et de l'UX/UI : « Nos clients élargissent leur champ d'activité et ne se contentent plus du marché français. La demande sur les profils ayant un bon niveau d'anglais a augmenté. Cela devient une nécessité pour les profils de marketing digital par exemple mais beaucoup de candidats n'ont pas toujours le niveau nécessaire. » Nombre d’entreprises intègrent aussi dans leurs demandes des exigences de diversité et souhaitent trouver en priorité des profils féminins. Si elles sont dotées des compétences requises, les personnes en situation de handicap seront aussi avantagées.

Des candidats frileux

Globalement, les candidats sont nombreux à vouloir vivre sous d’autres cieux que ceux de la région parisienne. Mais la crise les a rendus frileux et moins sensibles aux opportunités qu’offre un changement d’employeur… Autant de paramètres qui rendent les processus de recrutement longs – de deux à six mois, voire plus – et nourrissent l’inflation salariale. « Le salaire moyen dépend du langage de programmation et de l'expérience mais en moyenne, à Paris, un programmeur expérimenté en C# aura un salaire annuel de l'ordre de 65 kiloeuros », indique ainsi Terence Bucher, CEO de Hidden, une plate-forme qui agrège une communauté de profils digitaux.

La situation a suscité l’émergence de nombreuses plates formes spécialisées. Lancée aux États-Unis en septembre et disponible en France depuis le mois dernier, Wanted s’adresse aux potentiels candidats en leur demandant une seule information : le niveau de rémunération qu’ils souhaitent obtenir. « Plusieurs études de Hired, Glassdoor, LinkedIn ou Columbia University ont montré que le salaire était le critère numéro 1 pour les talents ouverts à de nouvelles opportunités, explique Eva Peris, la cofondatrice de Wanted. C'est donc naturellement devenu notre point de départ. »

Une approche qui mérite d’être nuancée, estime de son côté Terence Bucher, de Hidden : « La rémunération n'est pas le seul facteur qui fait changer d'employeur. Il faut aussi y ajouter la qualité de l'environnement technologique et l'attractivité de la marque employeur, facteur de plus en plus important. Le temps de transport peut aussi jouer. » Il note par ailleurs que la demande de télétravail est de plus en plus fréquente et que changer d’entreprise n’assure pas à coup sûr une forte progression de rémunération : « En changeant d'entreprise, les candidats peuvent espérer voir leur rémunération augmenter de 10 % maximum. »

Internaliser le recrutement 

Pour surmonter les difficultés, certaines entreprises choisissent d’internaliser le process de recrutement. C’est le cas de MoovOne qui a lancé une campagne de recrutement pour doubler ses effectifs en 2021 et les porter à une centaine de collaborateurs. Parmi les cinquante profils recherchés figurent un tiers de développeurs. Pour les trouver, l'entreprise a mobilisé une personne à plein temps avec une stratégie bien rodée, indique son DRH Charles Oldroyd : « Cette personne mixe un ensemble de canaux : l'approche directe (50 % des recrutements) ; l'inbound, c'est-à-dire les personnes qui nous approchent directement (20%) ; la cooptation (10 %  - mais un taux de conversion supérieur à 50% alors que celui de l'inbound oscille entre 5 % et 10 %) ; et enfin les agences de recrutement (20%). »

YouSign, une autre start-up qui propose des solutions de signature digitale, a aussi dû se résoudre à internaliser le recrutement, faute d’obtenir satisfaction avec les plates-formes existantes : « Nous avons testé des plates formes mais nous n'étions pas satisfaits, indique Luc Pallavidino, co-fondateur et CEO. Cela demande beaucoup de gestion de qualification. Les promesses des plates formes ne sont pas forcément aux rendez-vous. »

D’où le choix d’une internalisation qui a permis de mieux prendre en compte dans le process de recrutement non seulement les besoins de la structure mais aussi ses exigences et sa façon de fonctionner. Une nouvelle équation dont Luc Pallavidino se félicite : « Nous avons constaté une réduction de la durée nécessaire pour recruter et une hausse du niveau de qualité des profils. » Le constat est d’autant plus important que YouSign compte recruter 70 personnes en 2021 et 150 en 2022. Pour maintenir la cadence, la start-up envisage d'embaucher une troisième personne dédiée exclusivement au recrutement de talents digitaux. Si la pénurie a peu de chances de se dissiper, les solutions existent. Mais elles exigent un fort investissement.

Vers des postes occupés à distance



Jonathan Azoulay, fondateur de Talent.io analyse l’impact croissant de l’envie de « remote » sur le marché des talents digitaux



« Habituellement, les crises réduisent la tension sur les marchés pénuriques comme le nôtre. Là, on constate le décollage du recrutement à distance. Les entreprises vont de plus en plus vers le remote ou l'hybride et recrutent à distance. En octobre 2020, nous avons lancé une offre qui permet aux entreprises de recruter des candidats qui souhaitent travailler à distance. C'était marginal il y a un an et en janvier, 20 % des entreprises font des propositions d'entretien à des candidats qui souhaitent travailler uniquement à distance. Le taux de conversion est plus faible, de l'ordre de 10 % soit deux fois moins que le recrutement sur site, mais c'est logique car les entreprises ne sont pas encore organisées pour ce type d'organisation et préfèrent encore les candidats sur site. C'est le deuxième confinement qui a fait décoller l'intérêt pour ce type de candidats. Avec la crise, le "remote" s'est imposé. »

 

 

 

 

 

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