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Comment repérer et prévenir les fragilités d'ordre psycho-social, pour réduire leur impact ? Depuis le début de la crise sanitaire, les agences ont eu à traiter ces questions. Et elles ont des réponses.

Pour créer du lien, il faut bien sûr communiquer. Mais par temps de pandémie et de travail à distance, cela revient essentiellement à rassurer. Australie a mis en place en ce sens des points de rencontre réguliers entre la direction et les salariés. Selon la DRH, Prudence Leclabart, l'initiative a permis de « clarifier le fonctionnement de l'agence, le contexte du marché », mais aussi de « rassurer sur le maintien de l'emploi ». Des moments d’échanges quotidiens sont aussi organisés sur un rythme quasi-quotidien afin de permettre « aux collaborateurs d'échanger sur des sujets autres que professionnels ».

Chez Jellyfish, des liens de solidarité se sont même tissés, raconte Marie Raimbert-Galtier, chief people officer : « Durant le confinement, certains salariés qui étaient partis en province ont accepté de prêter leur appartement à d'autres qui avaient de petits logements. » Ou comment réduire drastiquement le risque d’isolement tout en renforçant l’esprit d’équipe. Conseils pour maintenir l'équipage à flot.

 

1/ Coordonner les équipes.

Communiquer est tout aussi nécessaire pour coordonner les travaux et éviter des à-coups ou des frictions inutiles. Australie a ainsi lancé une « covtidienne ». « C’est une visioconférence entre directeurs de département afin que tout le monde soit pleinement informé de ce qu'il se passe à l'agence, explique Prudence Leclabart. Il s'agissait de garder le lien social, de savoir exactement qui faisait quoi pour recréer une vie d'agence à distance. »

Il faut aussi prendre régulièrement le pouls des équipes. Depuis le premier confinement, le 17 mars, Havas Media a ainsi diffusé trois questionnaires auprès de ses collaborateurs. Pour Ange Michelozzi, son DRH, il s'agissait de « savoir comment les salariés vivaient cette période, s'ils rencontraient des problèmes techniques, s'ils ressentaient des angoisses et, lors de la reprise, quel équilibre présentiel / distanciel ils privilégiaient ». Australie a, de son côté, réalisé une dizaine de sondages sur la même période afin de « connaître la situation personnelle et professionnelle des salariés, vérifier que les informations diffusées sont suffisamment claires et s'ils arrivent bien à dissocier vie pro et vie privée ».

 

2/Faciliter l'accès à la consultation médicale.

Pour réduire l’anxiété due au confinement, l’AACC a fait évoluer le système de consultation des médecins du travail. « Le système de consultation du CMPC [centre médical de la publicité et de la communication] a évolué, affirme Marie-Pierre Bordet, vice-présidente déléguée générale de l'AACC. Les salariés peuvent désormais se connecter et avoir un rendez-vous rapide avec un psychologue. En 2020, lors du premier confinement, 150 salariés ont pu avoir un entretien, soit le double de 2019. » Face au risque d’isolement, Havas Media a réagi très tôt. « Nous avons mis en place, dès avril 2020, une cellule d'écoute avec un psychologue du travail, que nous avons décidé de pérenniser, ajoute Ange Michelozzi. Un système de téléconsultation médicale a aussi été mis en place afin que les salariés puissent avoir un avis médical sans avoir peur de se déplacer chez un médecin. »

 

3/ Anticiper les dérives

Prévenir les risques psycho-sociaux [RPS] exige une mobilisation des managers et des RH autour des publics sensibles. Australie a établi des points périodiques, en particulier avec les stagiaires et les apprentis, pour limiter le risque d'isolement et vérifier que leur charge de travail est correcte mais aussi suffisante. « Les managers s'assurent régulièrement du bon respect de l'équilibre vie pro/vie perso de leurs équipes, vérifient qu'ils ne sont pas trop débordés », ajoute Prudence Leclabart.

À distance, le contact devient plus sporadique ainsi que le respect des routines et des règles, assuré habituellement par la vie en équipe. Conscient de cet écueil et des risques qu’il comportait, Ange Michelozzi, le DRH de Havas Media, a institué une communication autour de toutes les consignes nécessaires : « Nous avons rappelé des règles sur les réunions, leur durée, la nécessité d'avoir des battements entre deux réunions, et nous avons "sacralisé" l'heure de déjeuner, en excluant tout appel ou toute réunion entre 12h30 et 14h00. Nous rappelons régulièrement ces règles aux managers et cela rentre dans les mœurs. »

 

4/ Insister sur le droit à la déconnexion

Chez Jellyfish aussi la pause déjeuner a été sanctuarisé, le message étant plus particulièrement adressé aux « populations juniors ». L’équipe RH a aussi communiqué sur le droit à la déconnexion. « Certains collaborateurs culpabilisent s'ils ne répondent pas immédiatement à un message », indique Hélène Geldhof, business partner RH. Parallèlement à un suivi des durées de temps de travail, établis sur une base déclarative, des rencontres sont organisées avec les collaborateurs suivis directement par l’équipe RH – une centaine de personnes – et des points, réalisés deux fois par mois avec les managers. « Suivre toutes les personnes en one-to-one est un travail à plein temps qui mobilise une partie de nos équipes six heures par jour », indique Marie Raimbert-Galtier.

 

5/ Se former à un nouvel équilibre

Les efforts des agences produisent leurs effets, constate Thierry Teboul, directeur général de l’Afdas : « Nous constatons une augmentation des demandes de formation sur le management à distance sur une longue période. C’est un mode de management qui n’est pas inné et qui est sans rapport avec un système de télétravail ponctuel une journée par semaine. La demande de formations pour repérer les personnes en situation de fragilité a aussi augmenté avec le confinement, de même que celle autour de l’équilibre vie professionnelle/vie privée. » 

Avis d'expert

« Les managers doivent renforcer leur présence »

Mathieu Sissler, psychologue du travail et des organisations (cabinet Preventis).

« L'un des risques majeurs du confinement ou du "100% télétravail" est l'isolement. Tous les salariés n'ont pas nécessairement une vie privée ressourçante, et le travail continue de constituer une part importante de leur identité. Le travail devient le seul moyen de s'occuper, il se dilue au fil de la journée. Certains salariés sont ainsi "présents en ligne", mais le fait d'être coupés de la vie sociale de l'entreprise impacte le sens de leur engagement : cela se traduit paradoxalement par un retrait progressif dans les relations à distance. C'est une forme de désengagement vis-à-vis de l'entreprise. À l'inverse, certains surinvestissent leur travail pour montrer qu'ils sont toujours aussi présents. Ils peuvent se retrouver dans une situation borderline par rapport au burn-out. C'est très fréquent parmi les managers et les cadres. Le confinement et les transformations des entreprises liées à la conjoncture actuelle créent une charge émotionnelle supplémentaire car les entreprises demandent aux cadres de faire attention aux collaborateurs tout en satisfaisant les exigences des projets de transformation. Les managers doivent renforcer leur présence et évidemment réinventer la relation à distance avec les collaborateurs, en fixant des règles de façon à créer des temps personnels et collectifs, à définir des modes de fonctionnement clairs qui soient validés collectivement. Cela permettra de retrouver une forme de convivialité, vitale pour l'énergie et l'engagement du collectif. »

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