Pandémie
L’Afrique n’a pas échappé à la vague du Covid, même si les chiffres témoignent d’une exposition moindre. Et les entreprises françaises ont dû adapter leur mode de management. Mais pas toujours par le télétravail.

« Avec WhatsApp, ce sera plus simple ». Conseillère exécutive auprès du groupe d’enseignement privé ISM, qui compte quelque 100 000 étudiants entre l’Afrique et la France, Amandine Bébi est installée à Dakar (Sénégal) depuis trois ans. « Premier canal de communication, la messagerie instantannée est utilisé dans la sphère privée comme dans le monde de l’entreprise. Avec un emploi appuyé des messages vocaux. Cela correspond à la forte tradition orale quand, en France, tout se passe à l’écrit. », note-t-elle. Sur ce continent de plus d’1,2 milliard d’habitants, le téléphone est roi. Pas facile de manipuler un tableau Excel sur smartphone. Aussi, la bascule en télétravail – comme en France - s’est-elle révélée ardue pour la myriade de PME et les quelque 200 grands groupes tricolores présents, de Tunis au Cap, et de Conakry à Djibouti. Soit un gisement de 620 000 emplois directs, selon les chiffres du Cian (Conseil français des investisseurs en Afrique).

Réalités diverses

« L’environnement structurel est peu adapté au télétravail, pour des raisons de pure logistique, commente Jean-François Vassas, CEO du Groupe Evolv, spécialisé dans l’audit du management et des organisations, implanté également au Sénégal. Il y a la problématique des délestages électriques. Internet fait défaut, les imprimantes et les ordinateurs fixes aussi. La culture du mail n’existe pas. » Les réalités sont diverses suivant les États. Le Tchad souffre de pannes techniques incessantes. Après avoir subi une interruption d'internet au moment des élections, la RDC a fait face, le 11 mars, à la rupture du câble sous marin de fibre optique Sat3, au large de ses côtes, qui alimente une dizaine de pays africains. À l'inverse, le Bénin profite d’une connexion de qualité. Résultat : même si les plans de continuation d’activité ont été officialisés, dans des entreprises françaises plutôt mieux loties, le télétravail n’a pas toujours été mis en place. Ni bien appliqué. Et la productivité n’est pas toujours au rendez-vous. La faiblesse de la bande passante n’explique pas tout. Le poids de la famille a été l’un des freins. « Très souvent, non pas deux comme en France, mais trois générations sont regroupées à une même adresse, note Jean-David Bénichou, entrepreneur & business angel, qui dirige ViaDialog, fournisseur de services cloud qui a développé différents centres de compétences à Madagascar, en Tunisie ou bien encore à l’Île Maurice. Faire preuve de souplesse est nécessaire pour permettre aux collaborateurs de travailler en horaires décalés. » Toutefois, en dépit des difficultés, la digitalisation a fortement progressé. On parle de « leap frog ». Le saut de grenouille.

Expert africain de la croissance verte et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), Thierry Téné, rapporte « que le Cameroun a même entamé une réflexion pour intégrer le télétravail au code du travail. Le gouvernement consulte actuellement. Aussi, en l’absence d’une pareille réglementation, les entreprises françaises ont-elles dû tâtonner. »

Solidarité interne

Autre réalité, le chômage partiel n'existe pas. Le continent n’en a pas les moyens, même s'il faut citer parmi les exceptions les 1 000 milliards de francs CFA du fonds de riposte et de solidarité de l'Etat sénégalais. « À la différence de ce qui se passe en France, il n’y a pas de filet de sécurité, commente Sandrine Sorieul, directrice générale du Cian. Aussi, les entreprises ont-elles demandé à leurs équipes de poser des congés, comme on a pu le voir aussi – en France - dans le conseil ou chez les avocats. » Souvent, les sociétés tricolores sont allées au-delà, avec le paiement des salaires, même sans travail à la clé. « Un cadre français a laissé son salaire à l’un de ses collègues africains », confie encore Thierry Téné. En dépit de la fermeture de sites, le réseau de salles de ciné et de spectacles CanalOlympia a maintenu l’équipe. Mieux, Fabien Cordon, le directeur d’exploitation, a recruté huit collaborateurs supplémentaires.

« Rien de tel avec les dirigeants chinois sur place, détaille Michel Kalemba, avocat à Kinshasa (RDC). Ils ont fermé les portes de leurs entreprises et sont repartis dans leur pays d’origine, sans plus donner signe de vie. » Michel Kalemba défend aujourd’hui 50 salariés pour licenciement abusif. Un collectif de vingt avocats a même vu le jour pour faire face à l’abandon des salariés africains, par ces entrepreneurs peu scrupuleux. « A chaque nationalité son management », résume Benoit Théry, actif dans différentes organisations non gouvernementales internationales. Amandine Bébi a fait le choix de rester, comme nombre d’expats français. Et c’est sans compter l’aide humanitaire apportée par les entreprises à cette occasion : BNP Paribas a mis 55 millions d’euros.

Confinement, couvre-feu, distanciation sociale… toute la gamme des mesures a été déployée. Avec une réelle efficience ? Environ 1,7 million de cas ont été enregistrés, pour 42 000 décès environ, contre 265 000 en Europe, à la fin octobre. Discours fiable, ignorance ou camouflage d’une réalité moins reluisante ? Pour Francis Epound, chef entreprise et docteur en finance, intervenant à l’Ecole internationale du management et de l’entrepreneuriat (EIME) à Yaoundé (Cameroun), « en l’absence d’encadrement et de dépistage, on fait croire à une mortalité résiduelle… .»  La tonalité est sensiblement différente du côté de Sandrine Sorieul : « les entreprises françaises avaient déjà un protocole de santé, souligne-t-elle, car elles ont déjà été exposées au virus Ebola, par exemple. Elles savent comment s’y prendre pour permettre un retour de leurs collaborateurs en toute sécurité, avec prise de température, masques, vêtements de protection… Elles ont une certaine expérience. On aurait pu s’en inspirer ! ».

La tendance est à la mobilité interne

Patrick Placktor, managing partner Europe-Afrique, chez Alexander Hughes/AfricSearch, cabinet de chasse de têtes, implanté dans huit bureaux sur le continent africain (Johannesburg, Lomé, Douala, Dakar…).



Les expatriés constituent-ils toujours l’un des volets de la politique RH des grandes entreprises, françaises ou étrangères ?

Je viens d’en recruter un pour une société basée au Togo. Mais les multinationales envoient de moins en moins d’expatriés sur le sol africain. C’est la tendance de fonds. Avec la fermeture des frontières, c’est encore plus vrai. Ces sociétés préfèrent de loin recruter des dirigeants locaux et développer une politique d’inclusion, de responsabilité sociétale. Les besoins en recrutement sont évalués à 20 millions par an.

Les compétences sur place sont-elles suffisantes pour répondre à la demande des entreprises, françaises ou non ?

L’expression "guerre des talents" n’est pas trop forte pour décrire la situation actuelle. Une vraie compétition se joue entre les acteurs économiques français pour constituer leurs boards ou leurs comités exécutifs.  Mais pas seulement. Les tensions sont encore plus perceptibles pour le middle management et les techniciens. Et dans ce contexte d’incertitude, sans recrutement, ni arrivée de nouveaux expatriés, les entreprises optent pour la mobilité interne, avec des sessions d’assessment.

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