Tribune
Maintenant la période de confinement passée, les entreprises vont devoir mettre en place des organisations hybrides, qui mêlent télétravail et collaboration sur site. Parmi les défis à relever, l'objectivation de la performance.

Alors que des millions d’employés reprennent progressivement le chemin de leur entreprise, prédicteurs et futurologues en tout genre n’ont de cesse d’asséner le même propos : le bureau est mort, vive le télétravail ! En vérité, la plupart des gens sont heureux de retrouver leurs collègues dans des conditions plus chaleureuses qu’autour d’un e-café. Mais il est vrai que les choses ont changé et que le travail à distance, objet de suspicion il y a peu, est rentré dans les mœurs.

Ce mode de travail est amené à côtoyer le travail au bureau et donc donner naissance à une organisation hybride que très peu de sociétés savent appréhender. Pour preuve : Google et Facebook, géants qu’on pourrait penser aguerris à tous les types de situation, ont demandé à leurs salariés de ne pas revenir dans les locaux avant 2021. La question n’est plus donc celle du maintien de l’activité hors les murs, mais celle des moyens à mettre en œuvre pour une coopération efficiente entre collaborateurs à distance et collaborateurs en entreprise.

La crise que nous traversons a mis à mal toutes les organisations qui jusque-là avaient ignoré le tournant du digital : si tout va bien, pourquoi mettre de l’énergie dans la numérisation des process ? Les entreprises ont dû s’adapter en catastrophe pendant le confinement et il faut dire que pour beaucoup, l’exercice a été bénéfique. L’activité a continué à tourner et parfois même plutôt bien, avec le bénéfice du gain de temps et de la flexibilité. Mais attention : je ne suis pas convaincu que le «full remote» envisagé par PSA ou Twitter soit une solution miracle.

Trouver un équilibre

Tout le monde ne supporte pas bien la solitude. Pour reprendre les mots du philosophe américain Emerson, «si vous cloîtrez la majorité des hommes, vous les désagrégez». De plus, tout n’est pas exportable chez soi. Comme le fait valoir Olivier Sibony, professeur de stratégie à HEC, il y a le «télérobuste», c’est-à-dire tout ce qui est formel et planifiable, et le «téléfragile», qui relève de la sociabilité et de la créativité. Autrement dit, en tout télétravail, «l’exploitation gagne en productivité, mais l’exploration devient plus difficile». Or, les deux volets sont fondamentaux.

La plupart des entreprises ont du mal à trouver leur équilibre car elles ne savent tout simplement pas évaluer la performance. L’ouvrage Remote, de Jason Fried et David Heinemer Hansson, relate le cas malheureusement représentatif du manager qui se demande si des employés en télétravail ne passeraient pas plus de temps sur YouTube qu’à mener à bien leurs missions. Cette caricature est toujours d’actualité, puisque, pendant le confinement et même au-delà, nombreux sont les salariés qui se sont sentis surveillés par un manager qui les appelait toutes les cinq minutes. Aux Etats-Unis, certaines entreprises ont même installé des logiciels espions pour prendre des captures d’écran des ordinateurs toutes les dix minutes. 1984 n’est pas loin… Or, ce climat de suspicion délétère n’a jamais encouragé ni la productivité, ni la créativité. Les efforts doivent être dirigés vers une finalité précise et non être conditionnés par le temps de connexion.

Partage d’informations optimal

La première des choses à faire dans une organisation hybride est d’objectiver au maximum la performance, en se basant sur la qualité des livrables et le respect des objectifs sur lesquels l’employé s’est engagé. Bien sûr, ces livrables et ces objectifs impliquent le plus souvent plusieurs parties prenantes, car l’heure est au collaboratif. Le deuxième enjeu est dès lors d’assurer un partage d’informations optimal entre celui qui travaille chez lui à des horaires parfois décalés et celui qui travaille sur site pendant les horaires dits de bureau. C’est le moment, si ça n’a pas déjà été fait, d’investir dans les outils qui permettent de gérer une communication asynchrone, et de formaliser la totalité des règles de fonctionnement face à un problème donné. Il ne doit rien subsister de tacite ou allant de soi.

En clarifiant les objectifs et en fluidifiant le partage d’informations, l’entreprise se dote des meilleures armes pour maintenir et même renforcer l’engagement des troupes. A mon sens, c’est là le principal cheval de bataille des organisations, a fortiori quand tout le monde ne travaille pas sur site. Pendant le confinement, beaucoup de personnes ont souffert du fait que leur emploi se réduisait à une «to do» dénuée de lien social : dans ce cas-là, qu’est-ce qui garantit le sentiment d’appartenance et la fidélité au groupe ? C’est le moment ou jamais de réfléchir en profondeur à ce qui lie des talents à une société.

Il s’agit en grande partie d’une certaine façon de travailler - culture de l’expérimentation, droit à l’erreur, innovation au plus proche de l’utilisateur… - et surtout de l’adhésion à des valeurs. Certes, le mot est galvaudé mais n’en reflète pas moins une attente forte de la part des employés autant que des consommateurs. Une marque se doit, aujourd’hui plus que jamais, de jouer un rôle civique au sein de la société. C’est ce qu’ont compris des entreprises comme LVMH, Decathlon ou encore L’Oréal. Rappelons-nous : une culture d’entreprise n’est jamais acquise, et elle l’est encore moins dans une organisation hybride. Au-delà des objectifs opérationnels, c’est tout un humanisme qu’il faut redéfinir et, surtout, incarner au quotidien.

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