Formation
Les écoles de design n’ont pas attendu la crise du Covid-19 pour sensibiliser leurs étudiants aux enjeux de la planète. Elles sont en première ligne dans la définition des espaces des «jours d'après».

Le vendredi 13 mars, après qu’Emmanuel Macron eût annoncé la fermeture des lieux d’enseignement pour le soir même, la Sustainable Design School réunissait une cellule de crise pour assurer la continuité pédagogique. Dès le lundi suivant, l’école était prête à fonctionner avec des outils virtuels. « Grâce à la plate-forme Miro, on a pu travailler en groupes de 15 élèves qui se sont révélés beaucoup plus interactifs et collaboratifs qu’en réel, témoigne Maurille Larivière, cofondateur de cette école dédiée au développement durable près de Nice. Les élèves étaient plus attentifs, s’écoutaient beaucoup mieux et ont pratiqué une créativité différente. »

Comme toutes les organisations, les écoles de design ont été mises à l’épreuve par les contraintes du confinement. Mais ces établissements spécialisés dans la création ont fait la preuve plus que d’autres de leur capacité de réaction et d’adaptation. L’École de design Nantes Atlantique a fait plancher ses élèves en masters Care Design et City Design sur l’appel à projets international Global Grad Show, destiné à proposer des réponses innovantes à la crise. Les jeunes designers ont imaginé des solutions de livraison, de distribution de gel hydroalcoolique, d’apprentissages des gestes barrières pour les jeunes enfants ou d’accueil des malades dans les hôpitaux. La Sustainable Design School a lancé le programme New Normal, au sein du réseau international d’écoles Lens (Learning Network on Sustainability), afin de répondre à la question : « Après la crise, dans quel nouveau monde normal voulons-nous vivre? ». L’initiative s’articule en trois phases : observation de la crise au niveau mondial; identification des opportunités et des convergences ou divergences de points de vue; développement de projets qui font sens pour tous. « Le réseau fédère des écoles en Europe, en Asie et en Amérique latine, précise Maurille Larivière. Le postulat, c’est qu’on ne veut plus de la normalité que l’on a connue avant. On fera une synthèse des observations d'ici l’été et les réflexions feront partie du programme de l’année prochaine. »

En partenariat avec des ONG

Pour ces écoles, qui ont fait passer les diplômes et ont présenté les travaux de fin d’année virtuellement, la pédagogie s'en ressentira. Elles vont nécessairement restées marquées par les événements qu’elles viennent de traverser. Designer depuis trente ans, Benoît Millet s’apprête à lancer Designir, une école spécialisée dans l’éco-innovation à Deauville. « La situation nous a incités à innover et à produire des programmes et modules pédagogiques qui peuvent être partiellement ou totalement suivis à distance », explique-t-il. Mais les prémices de son projet restent valables : « Il faut aller au-delà de l’éco-conception et envisager de nouveaux usages, de nouveaux services face aux problèmes environnementaux. Par exemple travailler sur la transition alimentaire, l’écologie numérique, le tourisme durable, chez nous en Normandie. » Créée il y a sept ans, la Sustainable Design School forme déjà ses étudiants au contexte du réchauffement climatique et de ses conséquences sociétales, environnementales, économiques. « J’ai fondé cette école avec Patrick Le Quément, ancien directeur du design de Renault, et Marc Van Peteghem, architecte naval, raconte Maurille Larivière. On est conscients que l’on ne peut plus envisager les mobilités de la même façon que dans le monde industriel d’hier. Pour schématiser, il ne suffit plus de dessiner un bel objet comme une chaise mais d’imaginer comment s’assoir dans un contexte nouveau. » Cette approche passe par des partenariats avec des entreprises et des ONG, l’encouragement à la création de start-up, en lien avec Skema Business School. 

La fonction avant l'objet

L’école Strate, basée à Sèvres et à Lyon, avait déjà prévu d’ouvrir à la rentrée avec l’ESC Clermont Business School le master of science « Strategy and Design for the Anthropocene ». L’anthropocène est l’ère géologique actuelle, marquée par l’influence des activités humaines. « L'objectif est de créer des promotions multidisciplinaires mêlant le design, les sciences humaines, les sciences de l’ingénieur, précise Dominique Sciamma, le directeur de Strate. Notre formation vise le bien-être humain, elle intègre donc la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) de façon implicite. Les étudiants ne se projettent pas dans des entreprises indifférentes aux enjeux environnementaux. Dommage qu’ils ne l’appliquent pas à eux-mêmes quand on constate l’absence de tri à la cafétéria! » Le directeur vise une réforme profonde des programmes pour l’année prochaine (lire encadré). À l’École de design Nantes Atlantique, les formations intègrent aussi les notions de cycle de vie des produits, de frugalité, de simplification. « Il y a quinze ans, le but était de fabriquer des objets plus économes pour les proposer moins cher, aujourd’hui la priorité est de faire des objets plus raisonnables pour qu’ils polluent moins, explique Alexandre Guillon, designer produit chez Decathlon et formateur sur l’éco-conception. Dans la pédagogie, cela passe par la réflexion sur la fonction, pas sur l’objet lui-même. Par exemple j’ai demandé aux étudiants de réfléchir sur le thème “Porter un enfant”. Si je leur avais demandé de dessiner un porte-bébé, ils l’auraient fait, mais cette approche ouvre un champ des possibles plus large. » Santé, travail, commerce, urbanisme, vieillissement de la population… le terrain de jeu des designers est encore vaste pour les années à venir.   

Avis d'expert

« On ne peut plus enseigner le design comme avant »

Dominique Sciamma, directeur de Strate École de design

 « Je ne vois pas comment l’école pourrait redémarrer en septembre comme si de rien n’était. Il n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité que près de 4 milliards d’humains soient à l’arrêt. On a découvert à quel point notre système n'était pas soutenable ni souhaitable. Des écoles ont réagi en imprimant des masques en 3D mais ce n’est pas suffisant. La mission du design n'est pas de faire mais d’abord de penser. Cette crise remet en question la façon dont on fabrique, dont on vend, dont on voyage, dont on travaille. Elle a des répercussions sur l’industrie automobile, sur l’immobilier de bureaux, sur les solidarités, sur la surveillance des individus, sur l’utilité des métiers… Les écoles de design sont les héritières de cinquante ans d’histoire qui ont créé beaucoup d’inertie. On s'est donné deux mois pour définir un plan de réinvention de l’école, car on ne peut plus enseigner le design comme avant. »

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