Ressources humaines
Imaginé par le législateur en 2014, le bilan professionnel des salariés après six ans d’ancienneté devait être mis en place dans les entreprises avant le 7 mars 2020. Or, pour certaines directions des ressources humaines, c’est encore un ovni !

Rares sont les entreprises à avoir mis en place le bilan professionnel dès six ans d’ancienneté. « Même en fin d’année 2019, des participants à nos modules de formation découvraient le sujet », commente Denis Reymond, directeur business unit interentreprises chez Demos, organisme de formation continue. Cofondateur d’Elevo, Thibault Vilon, spécialiste de l'évaluation de la performance, ne veut pas incriminer les sociétés. « C’est la première fournée des bilans professionnels des six ans. »

Avec un monde économique en constante évolution, à un rythme de plus en plus effréné, les compétences des salariés deviennent un véritable enjeu, un levier de la compétitivité. C’est de cela dont il est question. Créé par la loi du 5 mars 2014 relative à l'emploi et à la formation professionnelle, le bilan professionnel après six ans d’ancienneté a pour objectif de s’assurer de l’accès –des salariés des entreprises de plus de 50 collaborateurs– à la formation. « Formation, parcours professionnel, évolution salariale, points d’étape tous les deux ans… autant d’items à passer en revue [lire ci-après], détaille Emilie Chanet, responsable formation d’ADP, spécialiste des solutions RH. Mais le collaborateur doit aussi devenir acteur de sa carrière en exprimant ses choix. »

Depuis le texte de loi originel, les règles du jeu ont évolué. DRH et experts dédiés y perdent leur latin. Quelle est la date butoir ? 7 mars 2020 ? À moins qu'elle n'ait été reportée au 31 décembre... ? « On baigne dans le sujet, raconte Emilie Chanet, et pourtant le texte ne paraît pas très clair. » Vérification faite, depuis le 7 mars dernier, les entreprises en infraction s’exposent à des pénalités sonnantes et trébuchantes. Nos conseils en sept points pour faire du bilan professionnel des six ans un rendez-vous efficace et utile à l’entreprise et aux collaborateurs.

  • 1. Ne pas confondre les « six ans » avec l’entretien annuel. Ce dernier s’est répandu comme une tâche d’huile dans les entreprises, et pourtant la loi ne l’impose pas. L’entretien annuel a pour objectif d’évaluer la performance. Regard dans le rétroviseur versus projection dans l’avenir, l’état d’esprit n’a rien à voir avec le bilan professionnel. Pour une meilleure compréhension des enjeux spécifiques, choisir deux dates différentes est recommandé.
  • 2. Choisir le bon moment. « Ni à l’aube, ni en fin de journée, ce rendez-vous ne doit pas non plus avoir lieu entre deux réunions stressantes », recommande Mathilde Le Coz, directrice des talents et innovation RH chez Mazars. Elle va même plus loin en préconisant de trouver un lieu propice à la libération de la parole, comme un restaurant ou un café. Cette idée est cependant loin de faire l’unanimité.
  • 3.  S’appuyer sur des logiciels. L’instauration du bilan professionnel des six ans ne fait pas que des mécontents. Les ventes de SIRH (système d’information de gestion des ressources humaines) grimpent. « Au-delà de 200 collaborateurs, argumente Thibault Vilon, co-fondateur d’Elevo, la gestion administrative du processus prend le pas sur celle des compétences. » Les SIRH offrent un accès rapide à tout l’historique de la vie en entreprise du collaborateur. Avant l’entretien, une plateforme peut recueillir les questionnements ou remarques du salarié. Mais un échange physique s’impose.
  • 4. Inutile de faire un bilan purement comptable. Combien d’entretiens ? Trois ? Tous les deux ans ? Combien de formations en six ans ? Cet exercice ne doit pas se résumer à ces seules questions. Dans toutes les branches professionnelles, les opérateurs de compétences (OPCO) mettent à disposition une trame. Aucun format n’est imposé. Quelles compétences le collaborateur aimerait-il acquérir ? Où se projette-t-il à deux, trois ou cinq ans ? Quelle mobilité géographique ou professionnelle l’intéresse ? Besoin d’un tuteur ou de mentoring ? Cet exercice requiert une heure au moins.
  • 5. Est-ce le job du manager ou d'un responsable RH ? Le sujet fait débat. « Le manager se retrouve juge et partie, commente Marie-Françoise Hosdain, consultante en ressources humaines, auteure des 10 entretiens RH incontournables (Gereso Édition). La vision à 360° de l’entreprise et des passerelles possibles lui fait défaut. » La loi ne dit pas qui doit conduire ce bilan professionnel. La doctrine en vigueur chez Mazars sur le sujet : « rarement le manager direct ». Mais pourquoi ne pas recourir à un cabinet extérieur ? Pourquoi ne pas prévoir un contrat à durée déterminée (CDD) à la clé ? « Les RH ne sont pas suffisamment staffées », déplore Marie-Françoise Hosdain.
  • 6. La phrase à éviter. Mieux vaut éviter de commencer le bilan professionnel en lançant : « c’est une obligation légale, alors on le fait. » « Difficile dans ces conditions de susciter l’adhésion du collaborateur, commente Marie-Françoise Hosdain. Expliquer l’intérêt de la démarche est essentiel. Il n’est pas seulement question d’être en conformité avec la loi, mais bien de préparer les salariés aux évolutions de leurs métiers. »
  • 7. Un exercice sous contrôle, avec l’inspecteur du travail à la manœuvre. Le non-respect de la loi entraîne des pénalités. Le compte personnel de formation (CPF) doit alors être abondé à hauteur de 3 000 euros par salarié. Un vrai coup de massue pour beaucoup de dirigeants qui découvrent ne pas être dans les clous. « Un pécule qui peut être utilisé à loisir, souligne Marie-Françoise Hosdain, pour suivre des formations qui n’ont pas – forcément – un rapport direct avec le poste occupé. Ce peut être le permis de conduire ou un bilan – un autre – de compétences. »

La bonne fréquence

Entretien annuel ou de performance, entretien professionnel tous les deux ans, bilan tous les six ans… Pas toujours facile de jongler avec le calendrier des bilans. « Même si cela part d’une bonne intention, souligne Pierre Trippitelli, managing partner Europe chez Perpetual, cabinet conseil américain en RH, cette succession de rendez-vous managériaux entretient une certaine confusion. » Le millefeuille commence même à devenir indigeste pour nombre de dirigeants d’entreprise. « L’association nationale des DRH doit être bien contrariée, commente-t-on au Centre Inffo. Les règles du jeu sont assez dures. Le manque de souplesse est patent. » Pourtant, des voies discordantes se font entendre. Mathilde Le Coz en fait partie. Directrice innovation RH chez Mazars, cabinet d’audit, de conseil et de services aux entreprises pour près de 4 000 collaborateurs, elle trouve –au contraire– qu’il n’y en a pas assez. « Le rapport au temps a changé pour les jeunes générations, explique-t-elle. Si je leur dis qu’un point se fera tous les deux ans, pire tous les six ans, ils me rient au nez. Cette mesure va dans le bon sens pour les engager et les fidéliser. Qu’est-ce qu’on a pensé pour eux ? Ils sont en attente de ces moments. » De purement administratif, ce rendez-vous peut muter en élément clé de la marque employeur. Une philosophie bien comprise également chez ADP ou bien encore chez Australie, agence de 100 salariés.

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