Dossier Emploi-formation
Sourcing, outil pour suivre les candidatures, intelligence artificielle permettant de mesurer le potentiel des candidats... Les start-up spécialisées dans le recrutement sont de plus en plus sollicitées par les entreprises. Leur efficacité révèle aussi le poids de la marque employeur auprès des candidats.

C’est l’ébullition. «Il y a aujourd’hui environ 500 start-up RH sur le marché et la plupart proposent des solutions de recrutement», résume Thierry Majorel, responsable de l’innovation de BPI Group, un cabinet de conseil en RH. Sur ces 500 start-up, 286 se consacrent exclusivement au recrutement. C’est plus que celles dédiées à la vie de l’entreprise (115), à la formation (53), au management des talents (40) ou à la mobilité (36). Utiliser un ATS (Applicant Tracking System) - qui gère l’ensemble du processus de recrutement, de la diffusion des annonces jusqu’à la gestion des échanges avec les candidats et la constitution d’une base de données de CV - constitue un atout, estime Arnaud Schoumacher, responsable du recrutement de Oui.SNCF, la filiale privée de la SNCF chargée de la commercialisation en ligne : «C’est un vrai gain de temps pour maintenir une communication cohérente avec les candidats au fil du temps. Cela permet aussi de traiter des volumes importants et surtout d’apporter une réponse à tous les postulants, ce qui est important en termes de marque employeur. La digitalisation permet de se concentrer sur l’humain, pour mieux évaluer la compatibilité des candidats avec notre entreprise.»

Pénurie de profils

Gagner du temps et maintenir le contact sur une grande échelle présente d’autant plus d’intérêt que les recruteurs doivent faire face à une pénurie de profils sur les secteurs techniquement pointus (IA, virtualisation, cyber-sécurité, cloud…) mais aussi s’adapter à une évolution des besoins des entreprises.

«Nous devons faire évoluer le modèle du recrutement, jusqu’à présent très “job centric”, centré sur les métiers, vers un autre, “skill centric”, qui va mettre l’accent sur le capital de compétences des candidats et leur capacité à le faire évoluer», estime Véronique Biecques, directrice du recrutement et des parcours professionnels chez Orange. Pour relever ces défis, l’écosystème digital RH propose des approches innovantes dans le sourcing. Une étape cruciale, selon Makram Torkhani, directeur général de Yatedo, un moteur de recherche de candidats : «Aujourd’hui comme hier, les annonces digitales ne touchent en moyenne que 20% des candidats, ceux qui recherchent un nouveau poste. Cela signifie que 80% des candidats potentiels, voire 95% pour les cadres et les profils IT, ne sont pas informés de ces annonces. Et la part des candidats passifs a tendance à augmenter car le marché est plus tendu.»

Le sourcing, 70% du temps d'un recruteur 

Yatedo propose aux recruteurs d’effectuer des recherches sur internet à partir de 23 filtres différents (qualification, localisation...), structure les informations recueillies sous forme de CV et évalue la propension du candidat à chercher un nouveau poste. Avec 120 clients actifs dans plus de 30 pays, Yatedo se veut porteur d’une ambition claire, affirme Makram Torkhani : «Aujourd’hui, le sourcing capte encore 70% du temps d’un recruteur et les échanges avec les candidats, seulement 20%. Nous voulons inverser cette proportion.»

Partageant le constat de Yatedo sur l’étroitesse du champ de recherche habituel des recruteurs, Golden Bees chasse aussi sur l’ensemble du web mais avec une autre approche. «Nous opérons dans une logique pro-active via des jobs sponsorisés en ciblant des requêtes de recherche d'emploi», explique son fondateur et dirigeant Jonathan Bordereau. Golden Bees se fait ainsi fort de trouver des candidats qui ne sont pas en recherche active ou qui utilisent peu les réseaux sociaux, comme les médecins, en leur proposant une bannière sur les sites qu’ils visitent. Le recruteur ne reçoit cependant qu’un nombre limité de CV, fixé au lancement de l’opération. Par rapport à des méthodes traditionnelles, Jonathan Bordereau estime que Golden Bees réduit de 40% à 60% le coût par CV proposé et de 60% à 80% le temps nécessaire pour trouver des candidats.

Le potentiel plutôt que le CV

Après avoir trouvé des candidats, encore faut-il sélectionner la perle rare, sinon il faudra recommencer. Sur cette phase déterminante pour le succès d’un recrutement, Assessfirst propose d’évaluer le «potentiel» des postulants plutôt que leur CV, diplômes ou compétences professionnelles. «Nous aidons les entreprises à recruter les personnes qui ont le potentiel le plus élevé pour acquérir les compétences nécessaires à leur job, mais aussi les capacités pour s’intégrer dans l’entreprise et s’entendre avec leur futur manager, qui est associé aux campagnes de recrutement», précise Alexis Teplitchi, cofondateur de Assessfirst. La start-up estime que les nouvelles recrues réalisent des performances supérieures de 15% en moyenne à celle des précédents occupants du poste tout en réduisant de moitié le turn-over.

L’ensemble de l’écosystème digital lié au recrutement va sans doute encore évoluer radicalement. «Aujourd’hui, être le premier à solliciter une personne a de l’importance mais le critère qui joue le plus est l’attractivité de l’entreprise», note Pascal Lasserre, directeur général adjoint de Cadremploi. Un constat que partage Jonathan Bordereau et qui lui inspire un parallèle avec les liens que les grandes marques ont su nouer avec leurs clients : «Elles ont des plateformes de marketing relationnel, qui proposent par exemple des recettes de pâtisserie pour renforcer les relations avec les clients, ce qui permet d’augmenter leurs ventes. C’est une piste à explorer dans le domaine du recrutement.»

L'IA, un rôle clé

À terme, se dessine donc une coordination bien plus poussée qu’aujourd’hui entre les stratégies de marque employeur et celles de recrutement. Un champ où l’intelligence artificielle [IA] va jouer un rôle clé, selon Thierry Majorel : «Les entreprises disposent aujourd’hui de nombreuses données sur les candidats. L’enjeu est de les mettre en cohérence avec les données propres et les rendre utiles à l’entreprise. Sur ce point, l’IA est prometteuse, à condition de bien gérer et de concevoir des systèmes agiles, capables de faire communiquer tous les processus, et de tenir compte du niveau de sensibilité de la donnée, mais aussi de la réglementation, notamment du RGPD.»

Digitalisation tous azimuts chez Orange

Orange recrute en moyenne 10 000 personnes par an, dont 5 000 en France. Après avoir amélioré Orange Jobs pour offrir une timeline au candidat et lancé en 2016 une appli qui permet aux alternants de créer leur profil et de recevoir des offres, l’opérateur télécom propose désormais des entretiens vidéos. « Cela permet aux candidats de mieux exprimer leur potentiel que dans une lettre de motivation, précise Véronique Biecques, directrice du recrutement et des parcours professionnels chez Orange. Et c’est un mode plus équitable puisque les candidats répondent tous aux trois mêmes questions alors que l’entretien téléphonique interactif est moins formalisé. » Le dispositif de marque employeur a suivi une évolution parallèle avec la diffusion de vidéos de salariés expliquant leur travail. Une évolution qui répond aux attentes des candidats, précise Véronique Biecques : « Ils veulent avoir des témoignages de ceux qui exercent l’activité à laquelle ils postulent, avoir un lien direct avec eux et voir l’environnement dans lequel ils travaillent. »



La data propriétaire, un atout décisif

Les start-up vont-elles détrôner les sites d’annonces ? La perspective reste peu probable aux yeux de Pascal Lasserre, directeur général adjoint de Cadremploi : « Les moteurs de recherche spécialisés sur l’emploi ont une difficulté majeure, à savoir l’impossibilité d’accéder à l’information “logguée”, détenue par les éditeurs comme Cadremploi. » Les recruteurs peuvent ainsi accéder à des informations totalement protégées et rares, comme un numéro de téléphone direct. Ce type de données peut faire la différence dans un contexte de guerre des talents. « Cela permet de contacter directement la personne pour le convaincre de se porter candidat », estime Pascal Lasserre. Les sites d’annonces ont aussi entamé leur mue. Cadremploi a ainsi lancé CVaden, un moteur de recherche donnant accès aux 4 millions de CV enregistrés dans ses bases de données.



 

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