Alors qu’une nouvelle cartographie des métiers et des compétences doit être présentée au premier trimestre 2025 par l’Afdas, l’opérateur de compétences de la branche publicité, les données disponibles permettent déjà d’anticiper l’impact des évolutions actuelles.
Mutation à grande vitesse pour le secteur de la communication. Selon l’Afdas, l’opérateur de compétences en charge de la branche « publicité », l’heure est à la transformation des métiers. Les chiffres disponibles entre 2021 et 2023 montrent une baisse des offres d’emploi sur les fonctions d’assistantes, de chargés de production, de techniciens supports et sur les activités liées au graphisme. Ce sont les métiers d’attachés de presse et d’afficheurs print qui enregistrent les chutes les plus impressionnantes, avec des réductions des offres de respectivement 39 % et 64 %. Si les fonctions commerciales restent stables, des progressions sont en revanche observées sur les métiers de chef de projet ou de développeurs (web). Sur le marketing d’influence, la progression est de 20 % mais c’est la fonction de media trader qui remporte la compétition haut la main avec une augmentation massive des besoins de… 89 %.
Une évolution que Caroline Grassaud, directrice de l’Iscom, attribue à la bascule vers le digital : « Aujourd’hui, il y a 5,65 milliards de personnes qui ont un téléphone portable et 60 % des achats e-commerce sont réalisés depuis un téléphone mobile. Ce sont des changements très structurants pour la société et pour l’industrie de la publicité dans laquelle sont investis 19 milliards d’euros en France, soit 52 % du marché de la communication dont le principal levier de croissance depuis 2018 est le digital. » Pour Vincent Montet, directeur du MBA Digital Marketing et Business (EDH), cette évolution a fait émerger quatre grandes tendances au sein du digital : l’essor de l’achat programmatique, le retail media, les social ads et surtout l’influence : « Les investissements dans ce secteur sont passés de 2 milliards de dollars en 2016 à 19,5 milliards en 2023. Désormais, c’est un levier qui touche tous les secteurs et mobilise de 10 % à 20 % des budgets selon les secteurs. Les marques de mode et beauté ne sont pas loin des 30 %. »
Autant d’évolutions majeures qui ne manquent pas d’avoir une incidence sur les formations, estime Caroline Fleury, directrice du campus ECS Paris (groupe MediaSchool, propriétaire de Stratégies) : « Les jeunes que nous accueillons ne sont plus formés comme autrefois. Cela fait vingt ans que je suis dans l’enseignement supérieur et j’observe que nous avons intégré des domaines et des outils plus techniques, en particulier la data, l’IA, la VR… En termes de formation, il y a clairement une augmentation des compétences techniques. »
Complexité croissante
Le digital et l’IA vont-ils remplacer tous les postes ? L’hypothèse n’est guère plausible, avance Pauline Butor, managing director de l’agence Monks : « Chaque évolution de ce type suscite une peur que les médias ou les modes d’expression précédents s’éteignent. En réalité, ce n’est jamais le cas car ils vont se superposer. » En revanche, les changements actuels vont induire une complexité croissante, une transformation qui sera positive, estime la dirigeante : « Le secteur aura un besoin croissant de métiers d’analyse et d’insight pour comprendre ce qui se passe, prévient-elle, d’encore plus de métiers de stratégie pour déterminer la bonne direction. Et dans la création, les compétences vont devenir de plus en plus larges et protéiformes. Cela suscite aussi des besoins croissants dans les fonctions de la mesure, de la compréhension et de l’impact. » Bref, là où des tâches quotidiennes pourront être effectuées par des IA, les analystes seront toujours précieux pour prendre un peu de hauteur et apporter leur vision ou leur intuition sur un marché.
L’évolution du secteur soulève aussi des questions nouvelles. Caroline Fleury évoque en particulier le statut du brand content : « Quand on parle de publicité, on peut se demander si le brand content ne peut tout simplement pas être considéré aujourd’hui comme de la publicité ? Cela rappelle le débat sur la nature d’Internet : est-ce un média ou pas ? Les réseaux sociaux engagent la société dans une nouvelle forme de communication dans laquelle le brand content va permettre aux gens d’interagir avec les marques et les produits. Nous sommes passés finalement d’une attitude de passivité à une interactivité du consommateur. Les réseaux, la data, l’IA… poussent le marketing one to one à son paroxysme. »
Attention à la consommation d’énergie et à l’écoresponsabilité, alerte cependant Vincent Montet : « L’un des nouveaux enjeux, c’est de travailler à la décarbonation des campagnes ! » En parallèle de la maîtrise des outils technologiques, les professionnels du secteur vont donc devoir plancher sur la RSE et se plier à un cadre réglementaire plus strict. Autrement dit, l’un des défis majeurs de la communication et de sa galaxie de métiers sera de booster la performance tout en réduisant l’impact environnemental dans les années à venir.
Quels seront les effets de l’IA sur le secteur ?
C’est un outil qui est aujourd’hui intégré dans le travail des agences de publicité et qui pose la question de la place de l’agence conseil vs l’annonceur car certaines activités pourraient être reprises en main directement par les annonceurs. Il y a eu un grand mythe autour de cette question, au point d’imaginer que des intelligences artificielles pourraient construire des campagnes de publicité de A à Z. Cette illusion s’est fracassée sur le mur de la réalité. Nous sommes maintenant dans une phase de maturité et de prise de recul.
Quel rôle jouent les facteurs sociétaux ?
Avec la période de forte inflation, les consommateurs ont moins de pouvoir d’achat. C’est un constat très clair. Cela pose la question des moyens à mobiliser pour faire des campagnes, qui sont aujourd’hui plus réfléchies en termes financiers. L’émergence de la vente de produits de seconde main, qui est en train d’exploser en ce moment, est une autre évolution forte. Elle induit aussi des investissements publicitaires mais ce n’est pas la même chose que de faire de la publicité pour des annonceurs plus traditionnels. Cette évolution déplace beaucoup le marché et pose des contraintes financières et des modes de diffusion nouveaux.
Comment vont évoluer les compétences ?
Ce qui va s’accroître, c’est la dimension conseil des agences de publicité. Elle est renforcée par le gap technologique. Avant, les annonceurs déléguaient un travail et s’impliquaient moins dans la conception des campagnes de pub. Maintenant, la distinction est moins évidente. Cela pose la question de la valeur ajoutée des agences : que peuvent-elles apporter qui soit beaucoup plus pertinent afin de ne pas laisser l’annonceur faire des choses seul ou avoir l’illusion de faire des choses avec des outils technologiques ?