L’élévation du niveau de qualification sur le continent africain attire de plus en plus les entreprises. D'autant que des prestataires se proposent d'assurer eux-mêmes la contractualisation des employés africains. Certains points de vigilance méritent cependant l'examen.

Recourir à un talent en Afrique et lui confier une mission aussi simplement que s’il résidait en Corrèze ? C’est ce que réalise par exemple Keobiz, cabinet d'expertise comptable en ligne, qui fait appel à des compétences formées à Madagascar. C'est notamment possible grâce à des marketplaces qui proposent tout un portefeuille de profils et assurent le portage salarial ou le paiement de la prestation en mode auto-entrepreneur.

Fondée sur l’Île Maurice en 2017, Talenteum est aujourd’hui présente dans huit pays. « Nous permettons à des entreprises françaises de travailler directement avec des talents et de ne plus passer par des prestataires en out-sourcing, explique son cofondateur Nicolas Goldstein. Nous pouvons aussi fournir une assistance au sourcing en cas de besoin. Certains clients trouvent les talents sur LinkedIn puis nous contactent pour le portage salarial. »

Ce sont naturellement les prestations réalisables à distance, et pour répondre à des situations de pénurie, qui suscitent le plus de demandes. Chez Talenteum, le secteur IT représente encore la moitié des demandes du travail à distance, l’autre moitié étant capté par le back office. Les profils à dominante financière représentent environ 20% de cette part, avec, notamment des assistants comptables, des assistants recouvrement et des assistants paie, mais aussi parfois des analystes financiers.

Un turn-over élevé

Preuve de l’intérêt croissant que suscite la main d’œuvre africaine, Deel a acquis en 2023 PaySpace, un acteur de la gestion de paie présent dans 43 pays africains. Objectif : résoudre les difficultés liées à la diversité des réglementations et leur évolution constante, selon Jérémy Mimoun, responsable France de la société. « Aujourd'hui, on observe environ 200 changements réglementaires par jour dans le monde. Si vous multipliez par le nombre de pays dans lesquels sont implantées certaines entreprises, cela peut devenir un vrai casse-tête. Deel permet de gérer ces évolutions permanentes, tout en facilitant la gestion et la paie des équipes à l’international. »

L’externalisation à travers des plateformes reste quand même limitée à un certain nombre de régions et de pays, en l'occurrence l'Afrique du Nord et l'océan Indien, qui disposent des structures nécessaires. « Un tel dispositif n’est pas envisageable, ou alors de façon très résiduelle, dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne », assure Igor Rochette, directeur de Michael Page Africa. Le dispositif présente deux autres inconvénients. Le turn-over peut être élevé, prévient-il. « Les ingénieurs qui sont recrutés par ces entreprises, au bout de deux ou trois ans, vont souvent chercher à partir dans les pays du Golfe ou éventuellement en Amérique du Nord pour obtenir de meilleurs salaires. » La loyauté et l’attachement à l’entreprise sont donc des paramètres à bien prendre en compte. « Cela peut aussi soulever des questions de confidentialité et de fiabilité des prestations », selon le spécialiste.

Des coûts variables 

Pour autant, l’externalisation sur le continent devrait se poursuivre. « Il est assez logique de valoriser les talents en Afrique, considère Romain Grandjean, cofondateur de l'agence conseil en communication 35°Nord (Avisa Partners), spécialisée sur la thématique africaine. Pour que cela devienne une réalité plus répandue, il faut des systèmes éducatifs qui s'améliorent. Et là aussi, c'est, à mon avis, le deuxième facteur positif, c'est qu’il y a en Afrique des programmes de certification, de formation ou de diplôme qui sont excellents. Désormais, toutes les grandes écoles françaises s'y sont installées . »

La réduction des coûts est-elle au rendez-vous ? « En termes de rémunération, cela peut aller du simple au quadruple, répond Nicolas Goldstein. La base moyenne pour les ingénieurs va de 800 euros pour les juniors jusqu’à 4000 euros pour les seniors. Un assistant juridique percevra entre 700 et 1 000 euros et un analyste financier entre 1 000 à 3 000 euros en salaire. » Les moyennes ne disent pas toute la réalité. « La question du coût doit être modulée par les conditions locales et l’offre, tempère Romain Grandjean. À Abidjan, nous employons des cadres dont les salaires oscillent entre 3 000 et 4 000 euros parce qu’ils sont rares. » En cause : l’écart entre la demande et le nombre de diplômés. Un écart que nombre de pays africains cherchent à combler.

Trois questions à Emmanuel Gadret, CEO de Deloitte Afrique

Quels sont les atouts de l’Afrique en matière de talents ?

Il y a des pays dans lesquels vous avez une abondance d'ingénieurs de bon niveau. Ils sont avant tout choisis pour leur compétence, leur disponibilité, le bon niveau de formation et, plus accessoirement, une aspiration légitime en termes de rémunération. Je crois que les entreprises ne sont plus dans la recherche d'une économie, mais avant tout dans la recherche d'une compétence pour que la fonction d'externalisation soit la plus pertinente possible. Quels métiers sont concernés ? Depuis quelques années, des fonctions un peu plus stratégiques commencent à faire l'objet d'externalisation. C'est le cas de la finance, ou des RH.

Pourquoi ces domaines en particulier ?

En finance peuvent être externalisées des fonctions comme la production de comptes, de déclarations fiscales, sociales, et même des fonctions comme le contrôle de gestion. Au niveau des RH, il existe depuis cinq ans des externalisations de process de contractualisation à partir de modèles de contrat. Il y a aussi des process de contrôle de gestion sociale, c'est-à-dire l'analyse et le pilotage de la masse salariale pour des RH qui sont en France.

Quelles sont les limites du processus ?

L'accroissement de la population africaine en âge de rejoindre ce genre de fonctions est évident. La question est le niveau de formation. Les États vont-ils être en capacité d'accompagner et de former cette génération dont le nombre va considérablement augmenter ? Certains pays investissent massivement, comme le Maroc. Est-ce que d'autres pays vont être en capacité de faire de même ? Là, il y a un gros point d'interrogation.