Ressources humaines
Le gouvernement envisage de s’attaquer dans les prochains mois à la consommation des stupéfiants en entreprise. Comment cela peut-il s'appliquer dans le secteur de la communication et des médias?

Un verrou a sauté. Jeudi 19 mai dernier, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu un avis favorable au dépistage de l'alcool et des drogues dans l'entreprise: «Le dépistage de produits illicites est acceptable au plan éthique. Souhaitable et justifié pour les fonctions de sûreté et de sécurité. Pour ces mêmes postes, ce dépistage devrait être élargi à l'usage de l'alcool.» Un blanc-seing accordé au gouvernement et au Parlement pour qu'ils légifèrent sur ce sujet, en établissant un cadre à ces contrôles, avec un leitmotiv: «10 à 20% des accidents du travail seraient liés à l'alcool.»

 

Le gouvernement devrait décider de laisser le soin à chaque branche professionnelle de définir ce que sont ces postes de «sûreté et de sécurité». «Ces notions sont corrélées aux risques que l'on peut courir soi-même et faire courir aux autres», précise Étienne Apaire, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt).

 

Bien sûr dans la publicité, le marketing ou les médias, au royaume du tertiaire, ces fonctions seront plus difficiles à définir que dans le bâtiment ou l'industrie. A priori, les conséquences des décisions d'un conducteur de grue ou d'un chef de chantier n'ont pas grand-chose à voir avec celles d'un directeur marketing, d'un rédacteur en chef ou d'un directeur du planning stratégique... 

 

Et pourtant, les lieux de tournage dans la production audiovisuelle ou publicitaire sont aussi des endroits à risques. Et le simple exercice d'une fonction de management implique que ses décisions ou ses réactions peuvent avoir des incidences sur la santé de ses collaborateurs.

 

Un risque de banalisation

Patrick Laroche-Joubert, ancien publicitaire aujourd'hui consultant et formateur, se souvient d'avoir côtoyé un vice-président d'agence, consommateur régulier de cocaïne: «Cette drogue lui conférait un sentiment de surpuissance. Du coup, il multipliait les colères, les crises d'hystérie et les reproches violents et systématiques à ses collaborateurs.» Un comportement proche du harcèlement moral.

 

Les risques pour la santé mentale des salariés, même dans le tertiaire, peuvent donc être réels. Il y a quelques semaines, le patron d'une grosse agence de publicité (qui préfère garder l'anonymat) a décidé de renvoyer chez lui un directeur artistique qui commençait à insulter ses collègues en réunion, un vendredi après-midi, après un déjeuner un peu trop arrosé.

 

Certes, en quinze ans, les agences comme les médias sont devenus des entreprises comme les autres, avec souvent des financiers à leur tête et des services de ressources humaines. Néanmoins, certains abus y perdurent même si les salariés ont tendance à dissimuler leurs mauvaises habitudes dans les bureaux. Et d'autres types de consommation sont montés en puissance, avec l'exigence de performance, de retour sur investissement et de productivité. Par exemple celle des produits dopants.

 

«La cocaïne est en train de percer dans le monde du travail, de se banaliser, constate Michel Hautefeuille, psychiatre à l'hôpital Marmottan, spécialiste des addictions, auteur de Dopage et vie quotidienne (Payot poche, mai 2009). Dans les médias, où l'on est toujours en retard, le problème le plus dur ce n'est plus l'alcool, ce sont plutôt les stimulants, comme les gélules de caféine - qui équivalent chacune à 10 ou 30 expressos - ou carrément la cocaïne.»

 

D'autant que ces stimulants, même s'ils peuvent avoir des conséquences néfastes sur les collègues - irritabilité, violence - sont dans la ligne de l'entreprise: ils contribuent à accroître la productivité. Et sont, du coup, mieux tolérés. À l'instar d'autres drogues, comme le haschich, associé à la performance créative.

 

«Notre univers, la communication, a des codes assez particuliers par rapport à ces questions, juge Ludovic Delaherche, président de l'agence Human Inside. Un salarié ne sera pas forcément mis au banc de la société parce qu'il se drogue. D'ailleurs, je n'ai assisté à aucun licenciement lié à ce motif.»

 

Le dépistage pose questions

Si ces pratiques perdurent dans les bureaux, faut-il pour autant autoriser le dépistage dans les open-spaces? Patrick Laroche-Joubert, qui a vécu une descente aux enfers au cours de sa vie (il l'a racontée dans son livre La Vie à l'envers, Flammarion, novembre 2003), est favorable au dépistage des drogues dites dures: cocaïne et héroïne. «Même si cela engendre une restriction de liberté, je trouve que c'est une façon de sauver ces personnes.»

 

Le psychiatre Michel Hautefeuille est plus circonspect: «Le risque, c'est que les entreprises, pour se couvrir, décrètent que tous les postes, depuis l'hôtesse d'accueil jusqu'au patron, sont à risque. Je pense que, dans un premier temps, il faut que les pouvoirs publics décident eux-mêmes ce qu'est un poste à risques, avec des critères précis. Ensuite, on pourra discuter de l'intérêt du dépistage.»

 

En ayant en tête les conséquences de cette dernière mesure sur la sphère privée, il ajoute: «Si je fume du haschich le dimanche matin et que je suis dépisté le lundi matin, le test risque d'être positif. Et pourtant, je serai sans doute en pleine possession de mes moyens. Il y a un vrai risque liberticide.»

 

Il regrette également que les entreprises ne commencent pas par communiquer davantage sur ces sujets en interne, ce qui éviterait peut-être de devoir «partir ensuite à la chasse aux sorcières».

 

De quelle manière s'organiseront ces contrôles? Pour les fonctions définies comme étant à risques par les partenaires sociaux, ils pourraient intervenir de deux manières, comme cela existe dans d'autres pays, aux États-Unis par exemple: systématiquement à l'embauche, puis de façon aléatoire au fil de la carrière. La médecine du travail serait chargée de cet exercice délicat, couvert par le secret professionnel.

 

Le Comité consultatif national d'éthique recommande l'usage exclusif de tests salivaires, témoins des consommations des dernières vingt-quatre heures et uniquement pour les produits illicites et l'alcool. «Or les effets du haschich et des anxiolytiques, en termes de vigilance, sont à peu près similaires, note Michel Hautefeuille. Si les employeurs licenciaient tous les salariés qui prennent des anxiolytiques, il n'y aurait plus grand-monde.»

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.