communication interne
Comment les entreprises japonaises dans l'Hexagone ont-elles vécu les événements de l’archipel? Quelle a été leur stratégie de communication? Enquête chez Sony, Toyota ou Canon.

Un grand silence avant le vacarme. Lundi 14 mars à 8h30, tous les ouvriers de l'usine Toyota se sont recueillis pendant une minute avant de remettre en route les machines qui produisent les 790 Yaris  sortant chaque jour des ateliers. À Onnaing (Nord), en pleine banlieue de Valenciennes, la catastrophe japonaise a eu un retentissement particulier. C'est le cas aussi chez Sony France, Canon ou encore pour le distributeur de pièces automobiles Autobacs. Toutes ces enclaves japonaises dans l'Hexagone ont beau se situer à 10 000 km de Tokyo, elles ont suivi de très près les terribles événements qui ont secoué l'archipel.

«Vendredi 11 mars au matin, quand nous avons appris le tremblement de terre puis le tsunami, nous avons tout de suite joint notre siège social à Tokyo, se souvient Christian Dréan, directeur général France d'Autobacs. Au bout du fil, les assistantes qui nous répondaient étaient en pleurs, encore sous le choc.» L'objectif est, bien sûr, d'obtenir des informations de la maison mère sur la situation sur place. Et de prendre des nouvelles des collègues ou de leurs familles. Mais les moyens de communication sont parfois coupés, et il est encore beaucoup trop tôt pour dresser un bilan.

Dans certains grands groupes pyramidaux comme Canon, il faut attendre que l'information redescende en cascade. Une affaire de plusieurs heures, voire de plusieurs jours. «Comme nous n'avons pas de relations directes avec le Japon, nous devons patienter le temps que le siège japonais communique à la direction européenne, puis que celle-ci nous fasse suivre, précise Cécile Fayet, directrice adjointe de la communication de Canon France, qui compte 1 700 salariés dont 3 Japonais. Un courriel adressé à toutes les filiales du monde nous a appris que notre groupe comptait 12 collaborateurs blessés.» Dans cette configuration, le rôle du service communication est très limité: «Nous nous contentons de traduire les communiqués qui nous parviennent en anglais, en pesant bien chaque mot utilisé».

Fossé culturel

Depuis le début des événements, sur le site de l'usine Toyota France (3 000 salariés dont une trentaine de Japonais), les chefs d'équipe commencent chaque journée par lire aux ouvriers le flash d'information concocté par la responsable de communication. «Dans ce document, j'évoque l'actualité du Japon en général, puis celle qui nous touche plus particulièrement (collègues, famille sur place). J'ai pu annoncer par exemple que les Japonais présents à Onnaing avaient reçu des informations rassurantes de leurs proches sur place», se félicite Christelle Blandin, responsable communication du site de production.

Si les informations par courriel finissent par arriver, la communication avec les collègues japonais installés dans le bureau d'à côté est souvent très compliquée. «Au sein de l'équipe de management, le président et deux cadres sont japonais. Mais depuis le début des événements, impossible de parler avec eux de la catastrophe. On échange des sourires, mais tout le monde reste très silencieux, regrette Christian Dréan, d'Autobacs. En revanche, nous échangeons beaucoup entre Français. Nous recevons des coups de fil de directeurs de magasin en régions, qui sont bouleversés

Au siège de Sony France, à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), qui compte 400 collaborateurs dont 15 Japonais expatriés, ce barrage culturel se fait également ressentir: «Dans un premier temps, tout le monde a eu tendance à aller vers nos collègues nippons, pour leur demander comment ils se sentaient et s'ils avaient des nouvelles de leurs proches. Mais nous nous sommes vite rendu compte que cet étalage d'émotions était trop important pour eux. Du coup, maintenant, nous veillons à tempérer nos réactions, à être plus discrets à ce sujet», reconnaît Sophie Worms, DRH de Sony France. S'ils ont besoin de parler, parce qu'ils sont touchés ou traumatisés par les événements, les salariés français peuvent appeler la cellule psychologique que l'entreprise met à leur disposition en permanence.

Autre paradoxe: les collègues japonais contribuent à apaiser les Français. «À force de voir les images passer en boucle à la télé, on a tendance à être très inquiet, mais comme eux restent calmes, concentrés sur leur travail, cela nous apporte plus de sérénité», poursuit Sophie Worms.

Assurer la continuité de la production

Dans ce contexte, les services de communication marchent sur des œufs. Quelles informations donner sans affoler tout le monde? Pour la plupart d'entre eux, le désastre nucléaire relève du tabou, tant il est évolutif et compliqué à analyser. Alors, de quoi parle-t-on? De l'activité et de l'état des usines nippones, dont la plupart des filiales françaises dépendent pour leur production. À l'usine Toyota d'Onnaing, par exemple, 10% des pièces de la Yaris sont fabriquées dans l'archipel. Pour l'instant, grâce au décalage de plusieurs semaines entre la fabrication en Asie et la livraison en Europe, aucune rupture d'approvisionnement n'est encore constatée. Mais cela pourrait se corser si les autorités japonaises n'arrivaient pas à reprendre rapidement le contrôle de la centrale de Fukushima.

Alors, pour rassurer ses clients, Canon a mis le paquet: «Il y a quelques jours, les commerciaux ont adressé plusieurs dizaines de milliers de courriels pour tranquilliser nos clients sur l'état de nos stocks, explique Cécile Fayet, directrice adjointe de la communication de Canon France. Certes, 8 de nos sites japonais sont encore à l'arrêt, soit parce qu'ils ont subi des dégâts (murs fissurés, plafonds effondrés), soit tout simplement parce qu'il n'y a pas d'électricité. Mais nous avons déjà prévu un plan de continuité: dans l'hypothèse où la production ne pourrait pas redémarrer avant un mois, leur activité serait transférée vers d'autres usines japonaises.» Une nouvelle forme de délocalisation...

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