lobbying
Vous reprendrez bien un peu de carnet d'adresses avec votre plat en sauce? Cela tombe bien, les repas mêlant débats d’idées et relations d’affaires se multiplient. Suivez le guide.

Depuis septembre, tous les troisièmes mercredis du mois, Etienne Lacour, secrétaire général du Siècle, attend des invités un peu particuliers à l'Automobile Club de France, place de la Concorde. Ils peuvent être plusieurs dizaines, voire centaines, selon les soirs. Ils ne portent pas vraiment le costume-cravate de rigueur pour pouvoir franchir la porte de ce club très select: ils sont plutôt adeptes du jean et du blouson.

Ces manifestants, emmenés par le documentariste Pierre Carles, viennent régulièrement faire le siège du Siècle pour dénoncer la connivence entre la presse et le pouvoir économique et politique. Leur cible donc, la dizaine de journalistes et la quinzaine de directeurs de journaux, membres du Siècle: Emmanuel Chain, David Pujadas, Laurent Joffrin, Franz-Olivier Giesbert…

Désormais, les amis de Pierre Carles sont attendus par un comité d'accueil musclé, tout de bleu vêtu, et finissent souvent la soirée au commissariat. «Fin novembre, on a dû faire face à 300 personnes très agressives, qui n'hésitaient pas à jeter des œufs, des bouteilles de vin, raconte Etienne Lacour. Certains membres pénétraient dans l'Automobile club avec leur costume tout taché.»

Si, près de soixante-dix ans après sa fondation, le Siècle est encore attaqué, ce n'est pas un hasard: il symbolise le saint des saint du pouvoir à la française. Dans un contexte de défiance vis-à-vis des élites, il est devenu une cible de manifestants issus des rangs de la gauche radicale. Car ce n'est pas juste un fantasme: s'il y avait un Guide Michelin des meilleures tables pour «réseauter», ce lieu de rendez-vous obtiendrait au moins trois étoiles. Au point que certains font des pieds et des mains pour rejoindre ses 800 membres issus de différents corps (chefs d'entreprise, leaders syndicaux, grands journalistes, artistes reconnus…). Inutile de chercher à postuler, «on ne cherche pas d'adhérents», rappelle Etienne Lacour.

Code de bonne conduite

Pour rejoindre ce cénacle présidé depuis le 1er janvier par l'ancienne secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, aujourd'hui PDG de Vigéo, la cooptation est la règle. «Un cadre dirigeant que j'accompagnais en outplacement voulait intégrer le Siècle. Il a multiplié les tentatives sans y parvenir, relate Hervé Bommelaer, directeur associé d'Espace dirigeants, et auteur de Booster son business (Editions, février 2011). Ces dîners sont très fermés. Et, pourtant, c'est une mine en termes de réseau quand on dîne à côté de Denis Kessler [PDG du groupe Scor, ex-président du Siècle et ex-vice-président du Medef] Même s'il est de bon ton de ne pas dire que l'on est là pour le travail. «Si vous commencez à distribuer votre carte de visite à tort et à travers, vous ne serez pas réinvité. L'usage veut que l'on prenne rendez vous plus tard dans un restaurant pour parler affaires», poursuit Hervé Bommelaer.

Ce code de bonne conduite est aussi valable dans les autres dîners courus. Comme le Wine & Business Club, lui aussi trois étoiles au classement des tables pour réseauter. Ses 2 500 membres, exclusivement des dirigeants d'entreprises, acquittent une cotisation de 5 000 à 10 000 euros par an. Pour ce tarif, ils participent à des soirées en trois temps: conférence économique, dégustation de vin, puis exposé de PDG, qui relatent leur parcours. Le Wine & Business Club compte aujourd'hui quatorze clubs. Alain Marty, son fondateur, entend le faire essaimer: «L'objectif est d'en avoir vingt fin 2011, dans des capitales européennes.» Ici, les tours de passe-passe d'entreprises entre adhérents sont courants. Tout comme aux repas organisés pour les adhérents des clubs de golfs: «Ceux de Saint-Cloud, de Jouy-en-Josas ou de Saint-Nom-la-Bretèche sont très prisés», souligne Hervé Bommelaer.

Moins guindé et plus multiculturel

Du côté du récent réseau des Dîners de l'Atlantique, les affaires ne sont, en principe, pas au menu, puisque cela se veut davantage un lieu de débat multiculturel, avec des invités de prestige. Félix Marquardt, trente-six ans, le fondateur de ce concept transnational lancé en 2009, a voulu créer un «anti-Siècle»: «Dans les diners parisiens, si j'enlève les invités qui ont la rosace et les francs-maçons, il ne reste plus personne. Les élites françaises sont sclérosées, endogames et gérontocratiques.» Ancien directeur de la communication du Herald Tribune, cet Austro-américain élevé à Paris fait en sorte que chacun de ses dîners soit une porte ouverte sur le monde, avec une vingtaine de nationalités représentées. Parmi ses coups d'éclats, le dîner du 2 mars avec pour invité d'honneur l'économiste américain Nouriel Roubini et, surtout, celui de fin octobre dernier avec le président Kazakh, organisé dans la foulée de la visite de ce dernier à l'Elysée. Parmi les cent soixante personnes présentes, le gratin du patronat français, à l'image d'Anne Lauvergeon (Areva) ou Christophe de Margerie (Total)… Mais aussi un invité plus hors norme, le rappeur Brasco. Une suggestion aux organisateurs du Siècle pour conserver leurs trois étoiles? Inviter Joey Starr ou Diams à l'Automobile Club?

 

 

Encadré

Les repas d'anciens sont aussi à la mode

Moins chers et plus ouverts que le Siècle ou le Wine & Business Club, les dîners d'anciens font de plus en plus d'émules. Ainsi, les ex-salariés de Danone, Nielsen, Henkel, Unilever ou de la régie de L'Expansion se retrouvent autour d'un repas plusieurs fois par an. «L'intérêt, c'est que cela rassemble des gens qui ont partagé les mêmes aventures pendant plusieurs années. La solidarité entre eux est parfois plus forte qu'entre anciens d'une même école», souligne Hervé Bommelaer, spécialiste des réseaux. Bien sûr, ceux qui s'y pressent sont souvent en quête de clients ou d'un travail…

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.