«Ni hao… Xin nian kuai le.» (Bonjour… Bonne année). Pour présenter ses vœux à ses 45 000 salariés, répartis dans le monde entier, le patron de Publicis Groupe, Maurice Lévy, s'est encore démarqué. Cette année, il a lu un texte en mandarin, sous-titré en anglais. Ou, plus exactement, il s'est contenté de scander des sons défilant sur un prompteur. Cela donne un discours aux allures de sketch et qui explose l'audimat: «Il a déjà été vu 25 000 fois», se félicitait en milieu de semaine dernière Pascal Nessim, coprésident de Publicis Net, qui a participé à l'exercice. Le dirigeant du CAC 40 double son audience par rapport à son petit spot de l'an passé, également décalé.
«Envoyer ses vœux en vidéo, c'est une tradition chez Maurice Lévy, même si, historiquement, il était filmé sur la terrasse du siège, aux Champs-Elysées, et répétait à l'envi: “L'année a été difficile, vous vous êtes battus et vous avez réussi. L'an prochain, je compte encore sur vous”, relate Pascal Nessim. Il y a deux ans, on lui a fait remarquer que l'exercice tournait un peu en rond et on lui a proposé d'y glisser un peu d'humour.» Le dirigeant a accepté. Et cela a abouti à la vidéo de vœux 2010: «On avait fait “Maurice inside” pour montrer la différence entre ce qu'il pensait, sympa, et ce qu'il écrivait, très sérieux .» Pour 2011, la série continue avec “Maurice mondialisé”.
Un clin d'œil à ses nouveaux collaborateurs chinois: Publicis a réalisé dans l'empire du Milieu plusieurs acquisitions en 2010 et y a enregistré une progression de près de 25% de ses revenus pour le seul troisième trimestre. En 2011, le groupe prévoit de renforcer encore sa présence dans ce potentiel «deuxième marché publicitaire mondial», comme en atteste une revue stratégique d'actifs cibles confiée à Jean-Yves Naouri. Certes, les puristes du mandarin trouveront à redire dans ce discours du patron, mais les salariés chinois de Publicis, eux, ont apprécié ce clin d'œil. Autre signe du succès de cette vidéo: elle a déjà été parodiée par un blogueur, baptisé «Vinvin» (http://www.vinvin.org/).
Disparition des freins techniques
Les vœux en vidéo sont un mouvement inexorable, selon Guillaume Aper, président de l'Association française de communication interne (AFCI): «Si la vidéo s'impose, c'est parce que c'est un outil plus moderne que l'écrit et une façon de passer à un média de masse dans des organisations internationales, multiculturelles, où le président ne peut pas être présent partout.»
Le message audiovisuel répond mieux aux contrainte des groupes, qui ont des filiales aux quatre coins du monde, ajoute Catherine Desgrandchamps, consultante chez Image 7: «Cela recrée un lien de proximité avec le dirigeant, c'est plus chaleureux et ça peut susciter un sentiment d'appartenance plus profond.» Autre intérêt de ce mode de communication, il permet de mettre en scène le message tout en simplifiant le discours. «On dit les choses plus vite qu'à l'écrit, on grossit un peu le trait, on va à l'essentiel», souligne Xavier Cazard, directeur associé de l'agence Entrecom.
Les freins techniques au développement de cet outil, principalement des problèmes de bande passante, appartiennent du reste au passé dans la plupart des entreprises. Et l'engouement pour la vidéo ne se limite pas à l'annonce des vœux. Il s'impose dans tous les temps forts de communication de l'entreprise: résultats, rapports annuels, acquisitions, communication de crise… Autant d'occasions où les patrons prennent de plus en plus la parole devant la caméra.
«Par exemple, Sanofi-Aventis a adopté un format récurrent de vidéo, baptisé le “60 minutes”, qui permet à des membres du comité exécutif d'intervenir à l'occasion de résultats ou d'un événement, et est retransmis sur l'intranet», explique Julien Carette, directeur général adjoint d'Euro RSCG C&O. Un marché porteur, pour les agences: chez Entrecom, l'activité vidéo croît de 30% par an depuis 2009.
De son côté, la directrice générale de Fullsix, Anne Browaes, propose également de plus en plus de filmer les prises de parole des dirigeants. «L'autre tendance étant l'utilisation accrue du direct, en général plus entraînant pour les collaborateurs.»
Autre signe de cet attrait pour l'image vidéo, Entrecom, attend le résultat d'un appel d'offres d'un groupe de grande distribution. «Chaque année, le comité exécutif présente les résultats sur le Web, mais une grande partie des collaborateurs – caissiers, chefs de rayon – n'y ont pas accès, explique Xavier Cazard. Du coup, on leur a proposé de réaliser une vidéo que les managers pourraient montrer à leurs collaborateurs dans les magasins lors d'une projection en petit comité ou dans une salle de cinéma.»
Un message pour tous les publics de l'entreprise
Quand ils conçoivent ces prises de parole filmées, les communicants ont tous en tête une autre révolution: la disparition de la frontière entre l'intérieur et l'extérieur de l'entreprise. «Quand vous réalisez une communication interne en vidéo, elle se retrouve dès le lendemain sur le Net. Du coup, il faut être irréprochable sur le fond et la forme du message», avertit Julien Carette, d'Euro RSCG C&O. Aujourd'hui, les salariés de l'entreprise peuvent être des actionnaires, des clients, des consommateurs, incitant certaines sociétés à faire du trois-en-un: un message unique, valable pour tous ces publics.
Enfin, en s'emparant de la vidéo, les dirigeants d'entreprises ne font que suivre l'exemple des politiques, de plus en plus nombreux à se mettre en scène face à l'objectif pour présenter leurs vœux. Pour 2012, les patrons pourraient s'inspirer de la vidéo qui a cartonné en cette fin d'année: on y voit Hervé Morin, le président du Nouveau Centre, souhaiter une bonne année depuis sa cuisine, un torchon à la main, entre son faitout et son frigo. Dans un an, pour annoncer ses vœux, faut-il s'attendre à voir Maurice Lévy arborant un tablier de cuisinier et une toque en train de faire mijoter des petits plats dans un wok?
