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Après s’être engagé dans un processus d’encadrement plus strict des stages, le gouvernement lâche du lest. Pendant ce temps là, les abus continuent. Notamment dans la publicité, la communication et les médias.

Quatre mille membres en moins d'un an. Le groupe Facebook «Touche pas à mon stage» est un vrai succès. Sa créatrice, Novlaine Ben Brik, une jeune juriste qui prépare le concours d'avocat, a décidé de le fonder fin novembre 2009, alors qu'elle venait de vivre une vraie déception. «J'étais inscrite à l'Institut d'études judiciaires en cours du soir et j'avais décroché un stage rémunéré de six mois dans l'agence de publicité McCann-Erikson», explique cette étudiante parisienne.

Quand elle se tourne vers l'université pour obtenir sa convention, elle se heurte à un refus catégorique. L'adoption de la loi relative à «l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie» a changé la donne: les stages non obligatoires, c'est-à-dire non prévus dans le cursus, sont prohibés. Novlaine voit son stage s'envoler et se sert de Facebook comme d'une caisse de résonnance pour médiatiser son problème. De très nombreux étudiants, qui vivent la même mésaventure, se joignent au mouvement et viennent raconter leur déboires sur «Touche pas à mon stage». «J'ai reçu jusqu'à une cinquantaine de mails par jour, avec des histoires poignantes de stagiaires dépités parce que leur entreprise refusait de renouveler leur stage», explique Novlaine Ben Brik. Son combat arrive jusqu'aux oreilles de Valérie Pécresse, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, qui décide d'assouplir le dispositif.

Les décrets d'application, publiés le 26 août dernier, rappellent que les stages doivent être intégrés au cursus, mais prévoient trois exceptions pour les stages organisés dans un but d'insertion professionnelle. Ou plutôt, comme dit le texte réglementaire, lorsqu'il s'agit «de formations qui permettent une réorientation, ou de formations complémentaires qui sont destinées à favoriser des projets d'insertion professionnelle, ou encore de périodes pendant lesquelles l'étudiant suspend temporairement sa présence dans l'établissement». Pas très clair? Sans doute. Justement, le cabinet de Valérie Pécresse prépare une circulaire explicative qui devrait sortir dans les prochains jours.

Cela fait quatre ans que le gouvernement légifère sur les stages sans trouver la formule idéale. L'enjeu est de taille: il y aurait quelque 800 000 stages par an, selon une estimation du Conseil économique et social qui date de 2005. Et le réglage des mailles du filet est délicat. Un encadrement un peu trop lâche, et c'est la porte ouverte aux abus. La tentation est forte pour les entreprises, en effet, de se tourner vers cette main d'œuvre junior avec laquelle il y a une exemption de cotisations sociales.

«De la formation, pas de l'esclavage»

Dans la publicité, la communication et les médias, c'est un mal structurel, certaines entreprises fondent toute leur économie sur les stages, constate Marc Drillech, directeur général d'Ionis Education Group, qui a passé quinze années chez Publicis. «Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit de formation, pas d'esclavage.» A l'inverse, opter pour une réglementation trop sévère, c'est risquer de fermer la porte de l'entreprise à des étudiants et de déclencher des réactions comme celle de «Touche pas à mon stage».

«Les entreprises nous demandent une à trois années d'expérience en stages avant de nous proposer un CDD ou un CDI. On n'a pas le choix», se justifie Novlaine Ben Brik. Pour sortir de cette surenchère malsaine où un junior qui aura fait quatre stages se fera plus facilement recruter que celui qui n'en a que trois à son actif, le mouvement Génération précaire pousse le gouvernement à la fermeté, une fois n'est pas coutume. Son porte-parole, Guillaume, qui préfère garder l'anonymat, est radical: «Pour sortir de cette compétition, il faut interdire les stages hors cursus. Ne plus permettre aux universités de créer des “DU stages” [diplômes universitaires], ces formations où les étudiants s'inscrivent juste pour obtenir une convention.»

Mais la loi ne s'attaque pas à un autre scandale: le niveau de rémunération. Marc Drillech milite pour une graduation de la gratification selon le niveau d'études: «Quand un stagiaire est à bac+2, il a plus besoin d'être suivi. Cela semble normal qu'il ne touche que 50% du Smic. Mais quand il est en quatrième ou cinquième année, donc opérationnel, il devrait être payé à 90% du Smic.»

Effectuer le travail d'un salarié, pour le prix d'une indemnité de stage, c'est ce qu'a fait Alice*, vingt-deux ans, bac+5, au cours de son stage de lobbying de dix mois chez Euro RSCG C&O à Bruxelles: «Je devais réaliser du reporting heure par heure de tout ce que je faisais, signe que j'accomplissais les mêmes missions qu'un autre collaborateur. Pour mener à bien toutes mes tâches, il m'est même arrivé de finir en nocturne. Et l'entreprise valorisait mon travail dans la facture adressée à ses clients.» Si Alice a, malgré tout, trouvé son stage «très intéressant», elle lui trouve aussi un petit parfum de scandale.

 

Encadré

Les stages en cinq règles

1. La signature d'une convention tripartite – entre l'établissement d'enseignement, l'entreprise d'accueil et le stagiaire – est obligatoire.

2. Sa durée ne peut excéder 6 mois, renouvellement compris, sauf si le stage est intégré à un cursus pédagogique.

3. Tout stage supérieur à deux mois doit être indemnisé, depuis la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. En 2010, le montant de l'indemnité de stage exonérée de charges a été fixé à 417,09 euros par mois pour un stage à temps plein de 151,67 heures (35 heures par semaine).

4. En deçà de deux mois de stage, l'indemnisation du stagiaire est facultative et laissée à la libre appréciation de l'employeur.

5. Aucune convention de stage ne peut être conclue pour remplacer un salarié en cas d'absence, de suspension du contrat de travail ou de licenciement, pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent.

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