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Avec la crainte du suicide, le stress n'est pas seulement l'affaire de la médecine du travail. Il fait émerger un désir de performance sociale qui pourrait, paradoxalement, trouver ses plus fervents soutiens parmi les fonds de pension.

Les salariés sont des êtres humains à plein temps, y compris au travail. Et lorsque la situation devient intenable, ils choisissent parfois une option qu'aucun manuel de management ne prévoit: le suicide. Du début de l'année au 5 mai, l'Observatoire du stress en a recensé treize et huit tentatives à France Télécom. Faut-il, dès lors, comme vient de l'annoncer le groupe, corréler la rémunération des managers à une «performance sociale» qui prendrait en compte des critères comme l'absentéisme ou la satisfaction des salariés ? Encore à l'étude, cette initiative suscite autant de scepticisme que d'attentes.

Le travail reste en effet une valeur forte dans la société actuelle, comme a pu le mesurer le cabinet Mars (Mesure et anticipation du risque social). «Dans les études, c'est la deuxième valeur la plus citée, après la famille, précise son président, Pierre-Eric Sutter. Elle suscite donc un investissement très fort.» Et difficile à satisfaire à brève échéance: l'évaluation de la «performance sociale» n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements. Depuis la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2002, les entreprises cotées en Bourse sont bien tenues de publier un rapport RSE (responsabilité sociale et environnementale), mais sa portée reste limitée. «L'idée est bonne, mais les indicateurs ne sont pas adaptés. C'est de l'affichage», lâche Bernard Salengro, secrétaire national du syndicat des cadres CFE-CGC en charge des conditions de travail, du handicap et de la santé au travail .

Le chemin risque d'être d'autant plus long qu'il faudra franchir d'autres obstacles. Pour l'heure, les coûts du stress et a fortiori des suicides ne pèsent guère sur les comptes des entreprises. «Le Bureau international du travail estime que les risques psychosociaux coûtent chaque année 50 milliards d'euros à l'économie française, mais la branche accidents du travail de la Sécurité sociale ne débourse que 10 milliards», assure Bernard Salengro.

Il faut dire que le mode actuel de «reproduction» des hauts dirigeants ne favorise pas une telle prise de conscience. «Les élites sont désormais très loin du quotidien, estime Jean-Claude Delgenes, directeur général du cabinet Technologia. En Allemagne, les dirigeants font leur chemin dans l'entreprise avant d'arriver au sommet. En France, leur formation leur donne un passeport pour la vie et ils ne connaissent plus vraiment la réalité humaine des sociétés qu'ils pilotent.»

Mais l'instauration uniforme de critères de «performance sociale» peut être générateur d'effets pervers. Tous les services d'une même entreprise ne peuvent pas être logés à la même enseigne, rappelle Jean-Claude Delgenes: «Certains managers vont se retrouver avec des équipes qui auront subi des crises auxquelles d'autres ont échappé. Une éventuelle sanction pécuniaire n'aura de sens que si une pondération est effectuée, sinon, il n'y aura pas d'équité dans le traitement. Il faut un diagnostic initial, mais très peu d'entreprises sont prêtes à le faire.»

Vif intérêt d'investisseurs institutionnels

Manque de volonté politique, faible visibilité dans les comptes de l'impact humain, élites trop éloignées de la réalité quotidienne… tout semble se liguer contre l'émergence de critères de «performance sociale». Le salut peut-il venir de l'extérieur? Les investissements socialement responsables (ISR) attirent en tout cas des fonds d'investissement chaque jour plus importants. Dominique Blanc travaille à leur promotion au sein du cabinet Novethic et il estime que ce mouvement ne peut être que croissant: «Ces investisseurs ont compris que le respect de l'environnement ou la fidélité des salariés sont des facteurs qui concourent à la performance à long terme des entreprises.» Cet attrait touche encore peu les particuliers. Les banques leur présentent en effet la plupart des investissements en fonction d'un niveau de risque et non de critères liés au développement durable ou à des critères sociaux.

Du côté des investisseurs institutionnels, en revanche, la sensibilité à la «performance sociale» est réelle. Certains en ont même fait la pierre angulaire de leur action. C'est le cas de l'ERAFP. Créé en 2005, cet établissement paritaire chargé de gérer la retraite additionnelle des fonctionnaires a déjà placé plus de 8 milliards d'euros, dont près de 20% dans des entreprises privées. Chaque décision est passée au tamis d'une charte très stricte.

«Nous investissons dans des sociétés qui favorisent le progrès social, la démocratie sociale, le respect de l'Etat de droit et des droits de l'homme, la protection de l'environnement et la bonne gouvernance», explique Olivier Bonnet, responsable de la stratégie ISR de l'ERAFP.

Ces cinq priorités ont été déclinées en quarante indicateurs qui permettent d'évaluer notamment la qualité des garanties contractuelles dont bénéficient les salariés, la politique de l'emploi ou encore l'évolution comparée des rémunérations des actionnaires et des salariés. Loin de constituer un cas isolé, l'ERAFP semble faire école.

Une tendance que confirme Dominique Blanc: «Depuis 2003, les investissements ISR enregistrent une croissance à deux chiffres. En 2008, elle a même atteint 37% et 2009 devrait connaître une solide croissance également.» Si ces fonds ne pèsent encore que 30 milliards d'euros, soit un poids relativement faible dans les masses financières investies chaque année, leur forte croissance va peut-être attirer les financiers avisés. Et s'ils devenaient des chantres de la «performance sociale»?

 

 

Encadré

Un indice boursier dès 2011

L'Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) veut lancer en 2011 un indice boursier qui classera les entreprises selon leur respect des valeurs sociales de sa charte. Inédit dans son genre, cet indicateur serait le premier créé par un investisseur direct plutôt que par une agence de notation. «A long terme, cela pourra donner une information utile à d'autres fonds investisseurs qui partagent nos valeurs », précise Olivier Bonnet, responsable de la stratégie ISR de l'ERAFP.

 

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