recrutement
Ancien DRH à la Monnaie de Paris, David Abiker suit à France Info le monde d'Internet. Il livre son regard sur la communication et la meilleure façon de se vendre en ligne face à un recruteur.

Dans une série d'interviews pour Cadremploi, des personnalités vous racontent leurs souvenirs de recrutement. Pierre Bergé explique qu'il a demandé à des cadres de changer d'écriture, Jacques Séguéla qu'il a recruté Mercedes Erra et Rémi Babinet en deux minutes. Qu'est-ce qui vous a marqué?

David Abiker. L'injonction permanente aux candidats est de «rester soi-même», de ne pas mentir, etc. En fait, on se demande comment on peut rester soi-même dans un marché de l'emploi aussi contraignant. Si l'on suivait ce précepte, on ne ferait aucun effort, on se mettrait dans une boîte à chaussures et on dirait juste «J'ai envie de travailler chez vous». D'autant que ceux qui n'ont pas les codes sont sûrs d'être disqualifiés. Le recrutement est hautement subjectif. Plus vous êtes autonome, plus vous avez votre propre marque, plus vous pouvez vous permettre de vous singulariser. Plus vous êtes faible, plus vous êtes obligé de vous déguiser en candidat. Un sur cinq va à contre-courant. Florence Aubenas explique par exemple qu'elle a toujours menti ou bluffé.

 

Internet change-t-il les conditions du recrutement, avec ses exigences de transparence et la possibilité pour tout recruteur de taper le nom d'un candidat sur un moteur de recherche ?

D.A. Internet crée un rapport, comme on dit en management. Quand on se retrouve face à quelqu'un qu'on ne connaît pas, on peut avoir des antécédents de réseaux qui peuvent faciliter les choses. En même temps, cela ne suffit pas. Sur la Toile, le recruteur ne fait pas nécessairement sur vous une enquête de moralité, plutôt une enquête de curiosité. Ce n'est pas forcément de l'espionnite aiguë. Il m'est arrivé d'aborder des gens en leur parlant de leurs hobbies relevés sur Internet.

 

N'y a-t-il pas malgré tout des risques déontologiques si ces pratiques se généralisent?

D.A. Oui, beaucoup. On peut imaginer que face à un employeur qui irait trop loin, un candidat demande à être jugé sur son expérience ou son CV en ligne. Il faut aussi s'attendre à ce que l'interlocuteur s'étonne, en ce cas, que des données supposées privées traînent sur Internet. Et je ne parle pas de ceux qui adhèrent à des groupes totalement stupides sur Facebook! Tout le monde fait, peu ou prou, du «personal branding». Mais il importe de bien maîtriser ce qu'on communique: il faut toujours donner la même photo sur son blog ou son CV, raconter la même histoire et la scénariser pour qu'elle soit compréhensible en quatre lignes. En somme, «customiser» son discours sur Internet.

 

Nathalie Kosciusko-Morizet, la femme politique qui compte le plus de «followers» sur Twitter, appelle à être proactif sur Internet, pour éviter d'en être la victime. Pensez-vous qu'il en va de même pour les communicants ?

D.A. Oui, il faut avoir une stratégie de référencement. Pendant longtemps, la communication des entreprises avait un calendrier avec des temps forts et des prises de parole qui allaient du haut vers le bas: les comptes, les nouveaux produits, les vœux, les salons, etc. Cela va perdurer mais, en parallèle, les porte-parole des entreprises vont être plongés comme des saumons dans un grand courant d'eau, un buzz permanent avec les communautés en ligne. Et, selon qu'il pleut ou qu'il neige, ils recevront et enverront des «inputs». Quand une entreprise sera attaquée, des attachés de presse devront intervenir sur les forums pour rétablir la vérité au nom de la marque. Cela suppose d'autonomiser, avec un cahier de style ou de charges, ceux qui porteront la voix des entreprises. Je le vois bien moi-même: je suis allé au défilé Vanessa Bruno parce qu'une fille a été assez maligne pour me dire sur Facebook qu'elle adorait mes chroniques… Je n'ai pas eu le sentiment d'être démarché. Du côté des journalistes, cela induit aussi une proximité de plus en plus connivente. Il faudra avoir des avertisseurs car sur Twitter tout le monde se côtoie: journalistes, stars, particuliers, attachés de presse, etc.

 

Le fait d'être de plus en plus connectés, avec des échanges immatériels, ne crée-t-il pas un besoin nouveau de rencontres, de relations réelles ?

D.A. Oui, les  entreprises veulent provoquer la rencontre, mais comme elles l'entendent. Le «speed dating», en matière de recrutement, est propre aux années Internet. Les blogueurs se rencontrent, mais les gens se voient quand ils en ont envie: ils ne font absolument pas confiance aux institutions ou aux entreprises s'il n'y a pas de visage en face.

 

Faut-il laisser les salariés se connecter en permanence aux réseaux sociaux, voire aux jeux en ligne, dans les entreprises de communication?

D.A. Il existe une jurisprudence: l'employeur peut rendre impossible l'accès à Facebook, il peut très bien demander les courriels professionnels, mais il ne peut pas s'ingérer dans la correspondance privée ou renvoyer un salarié parce qu'il aurait regardé un site porno. L'employeur fait la loi dans la politique d'accès et de connexion à Internet. Ensuite, c'est une question de culture maison et de partage de valeurs liées à la liberté, au Web. Certaines boîtes sont réactionnaires sur la sécurité informatique, d'autres sont ultralibertaires. Mais on voit mal les entreprises refuser l'accès à Internet alors que c'est le bottin d'aujourd'hui. D'autant que les salariés peuvent s'échapper facilement sur leur mobile où ils ont des forfaits illimités.

 

Les nouvelles technologies, dans un contexte de raréfaction des ressources, ne sont-elles pas génératrices de souffrance au travail?

D.A. Si souffrance au travail il y a, elle n'est pas liée à Internet mais à l'adéquation entre l'homme et le poste, à ce qui lui est demandé de faire. Si le job est valorisé, avec des outils, un temps, un territoire et une définition de tâche cohérents, on peut tout faire faire: de l'antenne, du Web, de l'écrit, etc. Dans la limite bien sûr de l'épuisement et du droit du travail.

 

 

 

Un journaliste avec son appli Iphone

David Abiker est une marque. Il dispose de son blog, la Toile de David Abiker, où sont hébergés ses notes, ses livres et ses vidéos. Il est aussi le premier journaliste à ouvrir une application personnelle sur Iphone.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.