Vous voulez adopter une stratégie digitale, restructurer votre organisation en conséquence et séduire les consommateurs sur leur terrain numérique? Jouez à Candy Crush et à Farmville! Peu importe que ces jeux ne présentent aucun intérêt à vos yeux. Si des millions de personnes (autant de clients potentiels) s'adonnent à cette distraction, suivez la marche. Mettez-vous dans leur peau, et apprenez à les comprendre.
C'était l'un des messages martelé avec beaucoup d'humour par Scott Stratten, conférencier star du marketing digital, lors de son intervention au New South Digital Marketing Conference de 2012. Un message qui traduit une transformation de taille: il y a quelques années, les entreprises imposaient au grand public les canaux de diffusion de leur message promotionnel; aujourd'hui, ce sont elles qui doivent s'aligner sur les usages numériques du consommateur si elles souhaitent interagir avec lui.
Or trop d'entreprises sont loin d'avoir accepté ou même réalisé cette transition. Preuve de ce conservatisme: la volonté encore tenace des grands groupes à encadrer et à contrôler les pratiques numériques de leurs employés. Les uns sont coupés de Facebook ou de Gmail, les autres se voient interdire l'utilisation de leur matériel personnel, les troisièmes n'ont pas accès aux services de partage de fichiers sur le Web, d'autres encore voient leurs ports USB boqués… Et la liste est loin d'être exhaustive.
Tout cela est contre-productif. Car plus les employés utiliseront les outils du grand public, plus leur entreprise sera à même d'offrir des services digitaux adaptés aux consommateurs. Les collaborateurs doivent être les premiers à les tester et à devenir leurs ambassadeurs. Sans eux, comment s'imprégner de la culture et des habitudes des clients sur les réseaux sociaux, le Web ou en mobilité?
Cette entrave à la libération des pratiques numériques est souvent due à trois forces en présence dans les organisations. A commencer par les équipes en charge de la sécurité, qui cherchent logiquement à limiter l'ouverture du système d'information sur l'extérieur. Viennent ensuite les ressources humaines, pour qui réseau social rime nécessairement avec chute de la productivité. Enfin, les services marketing ont eux aussi leur part de responsabilité. Demandez à une assemblée de responsables marketing ceux qui ont déjà utilisé Snapchat ou Pinterest, vous pourriez être surpris du résultat!
Les entreprises ne se mettront donc sur les rails du marketing digital qu'en changeant de mentalité. Quitte à bousculer leur organisation et à accorder plus de crédit à certains profils sous-estimés, tels les «early adopters», cette jeune population absente du top management. Ces geeks, il faut pouvoir les identifier. Puis les écouter, les observer et s'en inspirer pour développer de nouveaux services. Reste que cette valorisation interne des early adopters est délicate à mettre en place dans les organisations pyramidales et très hiérarchisées.
Autre verrou à faire sauter: les réticences liées au BYOD [«Bring Your Own Device», «apportez vos appareils personnels»]. Le système d'information marketing doit refléter les usages du grand public. Or le BYOD permet justement d'ancrer ces usages dans l'entreprise. Equipé d'une tablette, le vendeur d'une grande enseigne d'électroménager parlera ainsi d'égal à égal avec un client connecté via son smartphone sur le site de l'enseigne. Il disposera sous la main de toutes les caractéristiques des produits ainsi que des informations concernant le stock et la livraison.
Cette ouverture sur le BYOD, et surtout la prise de conscience qui en découlera, devrait également mettre les entreprises à l'abri d'aberrations trop souvent constatées sur le terrain. Par exemple, créer des intranets sur Share Point ou des espaces de recrutement illisibles par une tablette ou un smartphone.
Pour autant, le tableau n'est pas aussi noir qu'on pourrait le croire. Une grande banque française vient enfin d'ouvrir Facebook à ses employés. Plusieurs grands groupes rivalisent déjà d'ingéniosité pour créer astucieusement le buzz autour de leurs produits sur les réseaux sociaux. A l'image du jeu organisé par Volkswagen sur Twitter, autour de sa Polo, ou de Monoprix, qui souhaite permettre à ses clients de payer en bitcoins avant fin 2014. D'autres acteurs plus petits s'essaient même à des campagnes de recrutement sur Snapchat (en l'occurrence l'agence créative DDB Oslo).
Mais, on l'aura compris, la conversion au marketing digitale ne se fera pas sans un nouvel état d'esprit doublé d'une réorganisation interne, et sans la volonté d'entretenir un certain mimétisme avec les pratiques numériques du consommateur.