Qu'a-t-on fait depuis vingt ans pour adapter nos organisations, nos systèmes de pensées et d'actions à un monde, incertain, turbulent, imprévisible? Le thème du forum de Davos 2014 était: «La réorganisation du monde.» Une bonne intention, mais pas neuve. En 2013, le thème du Davos était «La transformation du monde». Dans les deux cas nous n'avons pas l'impression d'avoir beaucoup avancé, et c'est comme cela depuis vingt ans, depuis qu'on se pose des questions sur nos avenirs économiques. On avance sur les questions, mais peu sur les solutions et les décisions.
Si l'innovation est capitale pour s'adapter, pour lutter contre les changements et turbulences du monde, force est de constater qu'on ne trouve plus les idées innovantes dans des raisonnements déductifs. Il faut à l'évidence, aujourd'hui, réintégrer l'intuition, l'opportunisme, l'expérimentation dans les entreprises, une sémantique rejetée du monde de l'entreprise par la tyrannie de la logique. Nos connaissances et maîtrises des théories logiques, cartésiennes, déductives, ô combien rassurantes, nous ont rendu prétentieux, persuadés d'avoir raison.
Où sont les cours d'intuition et d'opportunisme dans les universités? Qu'a-t-on fait depuis vingt ans pour apprendre et s'organiser à penser vite, décider vite, exécuter vite? Où sont, dans les entreprises, les commandos réactifs, les GIGN, les «Navy Seals» prêts à intervenir sur le champ? La situation ne s'améliora pas en faisant ce que nous pourrions qualifier de simples ajustements des méthodologies usuelles, en s'imaginant que tout rentrera dans l'ordre «comme avant».
Certains seront surpris de lire l'expression «bricolage de la pensée» en couverture de mon nouveau livre. Même si ce mot «bricolage» est chargé de connotations négatives, je le revendique haut et fort, pour gérer les sujets d'adaptation. Nous devons nous inspirer des scientifiques, nous devons avoir le courage de tâtonner, douter, essayer des options, et d'éviter d'appliquer «le Kotler dans le texte» au risque de trouver toujours les mêmes solutions.
Alors, oui, nous devons au fond apprendre à «bricoler la pensée». Les scientifiques ont la pensée buissonnière, ils essayent de prendre des chemins de traverse pour voir où ça les emmènent et en tirer des conclusions. Ce sont des «bricoleurs de la pensée», et ils sont là pour trouver les bonnes solutions. «La réinitialisation de l'ordinateur monde à un nouveau contexte», dont a parlé Christine Lagarde à Davos, est certes une affaire difficile. N'ayons pas peur, comme nos amis bricoleurs, comme les scientifiques, de douter, de tenter des expériences, d'avouer qu'on ne sait pas où est le bon chemin, de partir sur une voie pour en revenir aussi vite et en ayant appris quelque chose.
Ceux qui doutent, je les renvoie à «la pensée sauvage» de Claude Lévi-Strauss, qui raconte que le bricoleur ne se contente pas d'exécuter, mais d'inventer de nouvelles solutions, à la différence du technicien. Claude Lévi-Strauss rappelle aussi que le bricolage est un des ressorts fondamentaux de la création. Claude Allègre disait: «Quand on sait tout, on invente rien; quand on ne sait rien, on invente tout.» C'est une forme de définition du bricolage et du bricoleur. Il ne sait rien du problème dont on va lui parler, il va donc inventer, imaginer des solutions, il se situe immédiatement dans un processus créatif, à la différence du technicien, du «sachant» qui va appliquer ce qu'on lui a appris, quel que soit le sujet. Le bricoleur selon Claude Lévi-Strauss a une aptitude à se tirer de difficultés complexes.
Je ne peux m'empêcher de penser que la plus grande révolution technologique, celle de la micro-informatique a été initiée par Steve Jobs et Stephen Wozniak, deux bricoleurs au fond d'un garage!