En confiant à Jean-Paul Bailly, l'ancien patron de La Poste - donc habitué aux chantiers sociaux délicats - une mission sur la réglementation du travail du dimanche, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s'est laissé jusqu'à novembre pour trancher. Faut-il autoriser le travail dominical, élargir le champ des exceptions ou réaffirmer une règle malmenée par la fronde des enseignes de bricolage Castorama et Leroy Merlin, qui ont ouvert dimanche 29 septembre quatorze magasins pourtant frappés d'une interdiction d'ouverture par un tribunal de commerce?
«Il y a le respect de la loi, dire que l'on n'appliquera pas une décision de justice est insupportable», a d'ores et déjà tonné Benoît Hamon, ministre délégué à l'Economie sociale et solidaire. «Est-ce que vous pensez que travailler le dimanche, c'est améliorer la vie quotidienne, la vie de famille, la vie sociale? Je ne le pense pas», a déclaré de son côté Michel Sapin, le ministre du Travail, dans une interview aux quotidiens régionaux du groupe Ebra.
Et les Français, qu'en pensent-ils? Aucun institut de sondage n'avait eu, mardi 1er octobre, l'idée de le leur demander cette année. Il faut donc revenir à novembre 2012 pour avoir une partie de la réponse. Dans une enquête Ipsos auprès de 1011 personnes pour NRJ, Metro et LCI, 63% se déclaraient favorables «à ce que les magazins qui le souhaitent puissent ouvrir le dimanche». On note d'ailleurs à cette occasion que moins l'on travaille, plus on est favorable à cette ouverture (85% des 15-19 ans et 66% des plus de 70 ans) alors que les classes d'âge intermédiaires sont plus partagées (55% des 45-59 ans).
Maquis juridique
Du côté des sensibilités politiques, le Front de gauche et EE les verts y sont majoritairement opposés alors que le PS, le FN et surtout l'UMP s'y déclarent plus nettement favorables. Pas étonnant que la majorité présidentielle soit elle-même divisée sur le sujet, comme l'atteste la position du député PS Olivier Faure qui vient d'appeler à «mettre fin à l'hypocrisie et au maquis juridique qui prévalent sur l'ouverture des commerces le dimanche», mettant dans la balance 2 800 emplois en Ile-de-France.
L'opinion est tout autre quand on demande aux Français s'ils accepteraient de travailler le dimanche, comme c'est d'ailleurs le cas de 30% d'entre eux, selon une étude de la Dares de 2011. 67% s'y refusent dans un sondage Ifop/JDD de 2007, et encore 64% un an plus tard dans une enquête Ipsos pour la CFTC, Radio Notre Dame, RCF et Famille chrétienne (et 74% si on retire ceux qui travaillent déjà le dimanche).
Alors la consommation quand on veut pour soi, et le travail 7 jours sur 7 pour les autres? Rémy Oudghiri, directeur du département Tendances & Insights, à Ipsos Public Affairs, croit à une double postulation qui est souvent présente chez les mêmes personnes. «C'est là le reflet d'une ambivalence qu'on voit partout et qui est spécifique à la société française, dit-il. Il y a à la fois la lucidité de s'adapter au monde moderne et la volonté de préserver des acquis. Avec le sentiment que si on cède là-dessus, on cède sur l'héritage.»