A l'occasion du dernier numéro de l'émission Des paroles et des actes, jeudi 5 septembre sur France 2, les prises de parole de la garde des Sceaux ont présenté tous les ingrédients d'un médiatraining millimétré. Décryptage des 6 règles d'or suivies pour son premier «prime time». Où il se vérifie qu'une communication efficace est avant tout une communication préparée.

 

Règle n°1: le discours doit être simple. L'auditeur n'est pas un spécialiste et est souvent multitâche. Il faut lui prémâcher l'information. La ministre a donc cherché à bannir autant que possible son jargon judiciaire. Elle savait qu'elle serait interrogée sur l'affrontement par presse interposée avec Manuel Valls [ministre de l'Intérieur]. Elle utilisera alors la formule «ça fait plusieurs semaines qu'on joue un match sans joueurs. On ne joue pas un match, nous sommes ministres»... et c'est bien joué! Elle a réussi à ne pas rompre la solidarité gouvernementale. Pour être comprise de tous, elle a préféré des phrases incisives et courtes, clairement préparées à l'avance. L'intérêt? Ne pas la faire sortir de son message principal.

 

Règle n°2: trouver l'équilibre entre le discours technique et le discours émotionnel que la télé-réalité a imposé dans le paysage audiovisuel. En affirmant «j'ai une règle: face aux victimes, je fais silence, je m'incline», elle mesure combien ce témoignage peut fausser le jugement de l'audimat sur son action politique. Elle s'attache donc à tenir un langage aux accents de vérité en surjouant la mobilisation ministérielle et donne des preuves d'empathie envers la mère de la victime qui témoigne. Elle cherche à ne pas donner l'image d'une ministre dépassée par un fait divers tragique. C'est là où son entraînement médiatique est précieux. Il lui permet de savoir ne pas réagir sous la contrainte médiatique tout en tentant d'empêcher une crise de confiance en sa réforme.

 

Règle n°3: un discours de confiance rassurant. Christiane Taubira dira «je n'ai jamais dit que j'étais gentille, moi», comme pour mettre en avant dans cette formule simple sa transparence personnelle, sa sincérité humaniste, mais elle ne se laissera jamais porter par la conversation et n'oubliera pas le message-clé qu'elle est venue porter sur le plateau, alors que l'émotion fut préemptée comme jamais par la chaîne.

 

Règle n°4: des formules chocs préparées. La ministre a saisi chaque question comme une occasion pour elle de raconter une histoire. En redoutable professionnelle du «storytelling», elle a mis en spectacle l'ensemble de son action et de sa réforme. Le travail préparatoire à l'émission a consisté à notamment à trouver les exemples qui lui ont permis d'illustrer et de rendre vivant ses propos tout en rendant son discours plus crédible. Elle reprochera ainsi à Christian Estrosi de «penser par slogans» avant de lui lancer «même un élève de maternelle peut dire ça». Ces attaques ciselées le conduisent à être tenté d'y répondre et à ne pas se concentrer sur le fond du débat. La formule de la soirée reste sa réponse aux attaques sur les prisons: «J'ai même apporté les clefs, je vais les ouvrir toutes», ce qui l'amènera à gagner la sympathie en faisant rire le plateau. Faire rire est une arme particulièrement efficace dans une stratégie argumentaire.

 

Règle n°5: répondre à toutes les questions et répéter, tel un disque rayé, ses messages clés. La garde des Sceaux a su éviter les réponses du type «pas de commentaire». Elle a toujours répondu aux questions, même si sa réponse a consisté à dire qu'elle ne pouvait pas répondre. Son message principal est clairement «la contrainte pénale n'est pas un cadeau, c'est une vraie peine». L'entraînement médiatique de la ministre la conduit souvent dans l'esquive, mais constitue un filet de sécurité en l'empêchant de tomber dans les nombreux pièges journalistiques tendus. Elle est restée maître de son image et de son histoire.

 

Règle n°6: ne pas perdre la maîtrise de son temps médiatique. «Surmédiatrainée», elle sait que le temps est précieux. Elle en est soucieuse et cela transparait: «Vous ne maîtrisez pas les choses, Monsieur Pujadas»,«Vous m'empêchez de lui répondre, mais vous ne lui dites rien» ou encore «Comment le temps est-il décompté ?». Chaque réponse de la ministre débute par sa conclusion, c'est-à-dire le message. Puis l'illustre. Enfin, elle a systématiquement fait des questions «ouvertes». Interrogée sur son conflit avec le ministre de l'Intérieur, elle rétorquera: «C'est bien que Manuel Valls soit populaire. Ça vous pose des problèmes à vous?» Interpellant le journaliste qu'elle prend à partie, elle l'oblige à se justifier ou à passer à un autre sujet.

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