L'opinion française n'a sans doute jamais été autant scrutée que ces dernières semaines. L'enjeu de cette débauche de sondages: la participation de la France à une intervention militaire en Syrie à la suite de l'usage massif d'armes chimiques par Assad. Les dernières enquêtes sont sans appel: les Français sont majoritairement opposés à une implication militaire de la France sur ce dossier. Fin août, ils semblaient encore partagés: 45% étaient favorables à l'engagement des troupes françaises et 40% opposés, selon CSA pour Atlantico.
Mais les désastreuses expériences en Irak et en Afghanistan, la forte sollicitation des armées françaises ces dernières années (Libye, Mali...), la priorité donnée aux questions économiques et sociales ont inversé la tendance. Les sondages BVA pour I-Télé et Le Parisien le 31 août et d'Ifop pour Le Figaro le 6 septembre s'accordaient sur un taux de rejet de 64%. Selon BVA, les Français s'inquiètent des conséquences pour la Syrie et l'ensemble de la région (73%) et désaprouvent ce type d'intervention par souci légaliste (47%). Le 9 septembre, une nouvelle enquête, LH2 pour Le Nouvel Observateur, indiquait une légère inflexion à 56% d'opinions défavorables, mais toujours avec 35% d'avis contraires comme l'indiquait l'Ifop trois jours auparavant.
La cristallisation, fin août, autour d'un rejet d'une intervention française, est aussi le fruit du débat autour de la nécessité de faire voter la représentation nationale. Alimenté par l'opposition, il a tourné en défaveur du gouvernement. Le 3 septembre, une enquête menée par CSA pour BFMTV avançait que 74% des Français étaient favorables à un tel vote. Dans un billet sur le site de Libération publié le 9 septembre, Denis Pingaud, président de Balises, société conseil en stratégies d'opinion et de communication, parle du "piège de la démocratie d'opinion".
Un piège pour François Hollande, dont les filets ont été tendus par ses propres alliés: la Grande-Bretagne avec la volte-face de son parlement, qui a refusé le 29 août toute intervention militaire, puis les Etats-Unis, Barack Obama ayant décidé à son tour de consulter le Congrès.
"Tout cela témoigne d'une grande impréparation", analyse Cyrille Arcamone, associé fondateur de l'agence de relations publics Maarc, pour qui "1 - le franchissement de la soi-disante ligne rouge sur les armes chimiques aurait dû provoquer une décision immédiate, 2 - si les preuves avancées par les Occidentaux sont irréfutables, pourquoi n'ont-elles pas fait l'objet d'un plan de communication plus convaincant?, 3 - les arguments en faveur d'une intervention n'ont pas été à la hauteur et 4 - quid de l'après? aucun plan n'a été présenté."
Devant une telle impasse, la proposition de dernière minute présentée par la Russie le 9 septembre et consistant à mettre sous contrôle l'arsenal chimique syrien a opportunément offert une porte de sortie aux Etats-Unis et à la France, qui ont aussitôt affirmé que leur fermeté semblait payer. La thèse du coup de bluff réussi laisse toutefois sceptique...