Depuis 2010, le "drive" (espace de retrait en magasin des commandes effectuées sur Internet) se développe à une vitesse vertigineuse. Spécificité française, cette émergence des drives témoigne de la capacité des enseignes de la grande distribution à explorer de nouveaux champs concurrentiels: en s'affrontant sur le champ du service client, les enseignes peuvent redistribuer les cartes des parts de marché. Avec un poids d'environ 10% des volumes en 2015, l'explosion de ce nouveau canal de distribution modifie la façon de travailler des marques de façon considérable. Celles-ci doivent faire face à six défis.
Un jeu à somme nulle. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le drive ne fait pas forcément vendre plus. Il cannibalise les ventes en magasin. Le consommateur ne prend pas sa voiture à deux reprises pour faire ses courses. Le but étant de gagner du temps, il a plutôt tendance à faire l'appoint dans de petits commerces de proximité et au marché. La forte croissance des drives masque une décroissance des ventes en magasin.
Une maturité encore faible. Entraînées dans une course à la part de marché, les enseignes s'investissent dans la conquête territoriale plutôt que d'investir dans leur gestion et leur back office. Ainsi, les sites Internet drive proposent encore des outils Web plutôt basiques et «sous-optimisés». Les marques, pour les plus avancées d'entre elles, commencent à établir des stratégies commerciales et marketing pour le drive, leur élan est largement freiné par le manque de données précises et par la difficulté à avoir des interlocuteurs au sein des enseignes autres que les acheteurs. Dans l'ensemble, le drive est donc un segment encore très peu structuré, avec peu d'informations et d'expertises.
Une perte de visibilité. Du magasin à l'interface Web, la marque passe d'une part de linéaire à une «part de pixel» moindre. Et perd en visibilité de façon considérable. Visibilité d'autant plus réduite qu'il n'est pas difficile de remarquer la surreprésentation des marques de distributeurs (MDD) en drive, clairement favorisées par les enseignes dans un souci de rentabilité une fois de plus. Les grandes marques se retrouvent donc fondues dans la masse des marques de distributeurs meilleur marché. Vient ensuite la problématique du packaging et du marketing produit. En rayon, les marques ont la possibilité d'exposer un stock de produits avec des packagings conçus de façon à attirer l'œil du consommateur. En drive, elles ne disposent que d'une photo par produit sur laquelle le packaging est évidemment complètement évincé, malgré un effort sur la qualité des images. Sur l'interface Web des enseignes, la stratégie marketing est donc à revisiter. Les marques ont certes la possibilité de promouvoir leurs produits via des bannières publicitaires ou encore des fonds d'écran, mais ces espaces publicitaires sont non seulement payants mais surtout peu nombreux et très sollicités. Les marques devront ainsi débloquer de nouveaux budgets pour accroître leur part de pixel et de fait, gagner en visibilité.
Une concentration sur les produits phares des marques. Sur l'interface Web des drives, les enseignes maintiennent volontairement un faible nombre de références pour générer un maximum de rentabilité, proposant ainsi dix fois moins de produits qu'en magasin. De ce référencement réduit découle une concentration des achats sur les produits phares des marques - qui ne fait que s'amplifier avec les listes de commande ou de produits préférés mémorisés sur le compte en ligne du consommateur. En règle générale, ce n'est pas sur ce type de produits que la marge est la plus forte; cette tendance a donc un impact négatif sur les marques, particulièrement pour celles dont la stratégie repose sur de larges gammes de produits.
Un nombre réduit de promotions. Les prix des produits étant les mêmes en hypermarché qu'en drive, on aurait pu s'attendre à ce qu'il en soit de même pour les promotions. Or, en drive, le nombre de promotions est largement réduit et ne concerne, pour certaines enseignes, que les produits MDD. Les promotions jouent pourtant un rôle très important dans la décision d'achat du consommateur et cela n'en est que plus justifié par le fait qu'environ 60% des consommateurs en drive regardent la page promotion en premier. Les marques se retrouvent ainsi pénalisées à ce niveau, les promotions étant un facteur déterminant pour stimuler les ventes à court terme.
Une pression exacerbée sur les prix. Un autre aspect du drive vient changer la donne et bousculer les habitudes de vente des marques : la maîtrise totale de son panier par le consommateur. En effet, non seulement ce dernier peut voir en permanence le coût de son caddie virtuel sur son écran et modifier ses achats en fonction de son budget, mais il peut également comparer en quelques clics les prix pratiqués par les différentes enseignes grâce à l'émergence des comparateurs en ligne. Tout cela engendre une pression exacerbée sur les prix entre les enseignes, qui aura forcément un impact sur les marges des marques.
Chacun comprend que l'émergence des drives perturbe profondément les équilibres actuels et qu'il est essentiel pour les marques de pouvoir surveiller et piloter la performance de leurs produits dans ce nouveau canal. Pour améliorer la rentabilité de leur drive, les enseignes vont devoir réaliser d'importants investissements que les marques souhaitant en bénéficier devront inévitablement cofinancer, leurs marges s'en trouvant affectées.