L'éditeur d'un site Internet choisit souvent un nom de domaine générique, inclut un nom commun désignant l'activité ou l'objet du site. Il est alors convaincu d'avoir bien fait, puisque: par la règle du «1er arrivé 1er servi», il empêche les concurrents d'adopter la même URL (adresse Web); le référencement de son site sera facilité et les requêtes des internautes saisies dans les moteurs de recherche conduiront à son site, qui sera donc plus visible. Mais s'il n'a pas pu réserver toutes les URL quasi-identiques incluant le «précieux» nom générique, la moindre différence de typographie (un tiret, une lettre, etc.) permettra aux tiers de réserver des URL quasi-identiques...

Cette pratique n'est pas permise en matière de marque: lorsque le nom choisi est trop évocateur, la marque sera incapable de remplir sa fonction essentielle, qui est de garantir l'identité d'origine de ses produits et services par rapport à ceux d'une autre marque. Ces marques dépourvues de caractère distinctif (telles les dénominations qui sont dans le langage courant ou professionnel, exclusivement la désignation «nécessaire, générique ou usuelle» du produit ou du service, ou qui peuvent servir à désigner une caractéristique, notamment la qualité, la provenance géographique, la destination...) risqueront d'être refusées à l'enregistrement par l'office, ou, plus tard, d'être annulées en justice à la demande d'un adversaire.

Cette sévérité est justifiée également par le fait qu'il serait excessif que le titulaire de la marque puisse, grâce à son monopole, priver ses concurrents d'utiliser le nom commun désignant leur propre activité. (Un exemple: la marque «Alcool» déposée pour du parfum a été annulée car avait pour effet de priver les tiers de la possibilité de présenter à la clientèle la composition de leurs produits.)

S'apercevant qu'un site Internet à l'URL très proche apparaît sur la Toile, notre réservataire se pourvoit en justice pour voir interdire au concurrent, parfois sous astreinte, d'utiliser le nom de domaine litigieux et le faire condamner à des dommages et intérêts pour concurrence déloyale. Au passage, il pourra ajouter d'autres griefs, comme la reprise de sa charte graphique ou de contenus rédactionnels. Cependant, le caractère générique aura un impact sur le degré de protection. Plus le nom est générique, moins sa protection juridique sera élevée. Au final, ce réservataire risque de perdre son action et de devoir coexister avec le concurrent.

 

Exemples de jurisprudence

L'actualité de 2013 nous offre quelques illustrations de cette solution qui n'est pourtant pas nouvelle. Le 24 mai, le tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande de la société Le Passage au nom de domaine exploité www.e-obseques.fr dirigée contre la société d'économie mixte de la ville de Paris qui utilisait l'adresse www.i-obseques-paris.fr. Le tribunal rappelle d'abord que «dans l'environnement Internet, la lettre "e-" évoque le "e-commerce", terme désignant le commerce électronique» et que «l'adresse "e-obsèques.fr" signifie "commerce électronique d'obsèques", ce qui est l'exacte activité du site Internet exploité par la société Le Passage».

Puis il juge que, «en choisissant des termes intégralement descriptifs, la société [...] s'exposait à retrouver les mêmes termes dans des sites concurrents sur leur activité et notamment dans les réponses dans les moteurs de recherches qui prennent en compte la requête "obsèques" pour délivrer leurs réponses»; [...] «compte tenu de [ce] choix, qui [lui] a évité les investissements indispensables pour donner une notoriété propre à une adresse internet non descriptive, [...] la société [...] ne peut revendiquer une protection qui aboutirait à [lui] reconnaître un monopole d'utilisation d'un terme descriptif».

Le 20 mars, la cour d'appel de Bastia jugeait de la même façon. Le titulaire de www.mariagesencorse.com reprochait à son adversaire d'utiliser le nom de domaine www.mariageencorse.com. La cour infirme le jugement et juge que «le nom de domaine "www.mariagesencorse.com" est une juxtaposition d'un mot usuel et d'une provenance ou d'un lieu géographique, qui évoque l'objet et le lieu de l'activité de son titulaire sur Internet [...]. Aussi, même s'il existe une confusion dans l'esprit des internautes, les intimés ne peuvent valablement se prévaloir de la protection du nom de leur domaine, s'agissant d'un nom de domaine générique et descriptif de l'activité».

En conclusion, nous ne pouvons que conseiller de déposer des marques dont le nom est arbitraire par rapport à l'activité, puis de réserver des noms de domaine éponymes et d'investir pour un référencement efficace. Cela représente certes un investissement, mais l'est tout autant l'honoraire d'un avocat plaidant une cause perdue !

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