Merci: un petit mot tout simple qu'on entendait rarement pour ne pas dire jamais, quand on animait un groupe ou qu'on interviewait un consommateur il y a encore cinq ans. Pourquoi diable, du reste, aurait-il remercié? C'était celui qu'on voulait entendre et qui nous avait donné son temps, son sentiment, son engagement, que l'on remerciait, et c'était bien normal. Aujourd'hui, tout a changé. Aujourd'hui, ce sont ceux que nous avions coutume de remercier en fin de groupe qui quelquefois nous remercient, en fin de blog. «C'est une chance de pouvoir dire ce que l'on pense sans être censuré, alors merci pour cette initiative... Mes précédents messages auraient sans doute été censurés sur un autre forum... Merci aux organisateurs de ce forum, malgré un thème difficile, de nous donner vraiment la parole.» (1) Le vieux coup de l'arroseur arrosé, en somme. En plus agréable. Pourquoi? Et pourquoi maintenant?
Peut-être parce les nouvelles voies qu'offre le Web appliqué à l'investigation qualitative sont autant d'opportunités offertes au consommateur et à celui qui l'écoute de tisser une relation différente. En troquant, pour l'un, son statut d'enquêté contre celui d'acteur. En faisant sien, pour l'autre, ce mot d'ordre de mai 68 qui est devenu celui de toute la société, avec l'émergence du Web 2: «Voulez-vous être un participant ou un consommateur?» Pour en définitive obtenir plus - plus d'insights, plus de connaissance, plus d'intimité, plus de sincérité. A condition bien sûr d'en donner plus.
Plus de respect. Un homme, une voix: le principe fondateur du suffrage universel peut maintenant s'appliquer réellement dans le monde des études. Utiliser le Web 2, c'est d'abord faire en sorte que tous, même ceux qui n'osent pas parler en public, puissent enfin prendre la parole. Donner à ceux qui n'osent pas se mettre en avant l'opportunité de faire entendre leur voix - parce que l'écrit libère bien plus qu'il n'inhibe, en donnant le temps de formuler l'idée, l'émotion, la réflexion que l'on veut faire partager. Un progrès minime, par rapport aux techniques d'études qualitatives de groupe classiquement utilisées depuis les années 1970? Parlez-en aux timides.
Plus de liberté de parole. Pour tous. Même sur des sujets intimes. Même sur des sujets polémiques. Importer l'esprit du forum communautaire dans les études, c'est ouvrir non pas seulement une plateforme d'échange mais un espace de liberté pour ceux dont la parole est recueillie. Se refuser à dupliquer online les techniques d'animation qui ont fait leurs preuves offline, se mettre au défi de créer un langage et un ton différents, aptes à créer une relation inédite et plus libre avec les participants, c'est leur donner la possibilité de partager plus avec nous. Plus de colère. Plus de confiance. Plus d'émotion. Et donc plus d'insights.
Plus de réflexivité. N'aurions-nous pas eu tendance, dans le passé, à négliger la capacité des consommateurs et des citoyens à réfléchir, à articuler une pensée cohérente, au-delà de l'émotionnel? Celui que nous voulons mieux comprendre est un être humain avant d'être un consommateur. «Mais qu'est-ce donc que je suis? Une chose qui pense. Qu'est-ce qu'une chose qui pense? C'est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent.» (Descartes, Deuxième Méditation) Donner à chacun le pouvoir de partager sa pensée en lui donnant le temps de la formuler et l'espace pour l'exprimer, c'est se donner les moyens de comprendre les réflexions qui peuvent se cacher non seulement derrière les chiffres, mais quelquefois derrière les mots et les émotions elles-mêmes. Pourquoi seules les élites auraient-elles le droit de réfléchir et d'écrire?
Plus de débat. S'ouvrir à ces nouvelles techniques inspirées de l'adage central du Manifeste des évidences, «les marchés sont des conversations», c'est donner à chacun le droit au débat. Qui n'est plus réservé aux invités de Frédéric Taddei. Un participant à un groupe qui parle à son voisin, c'est un perturbateur - et une perte d'information. Un participant à un blog qualitatif qui parle à son voisin, c'est une fenêtre ouverte sur un monde jusqu'alors inconnu pour le modérateur - le monde un peu underground des conversations en aparté. «Chaque année, je revois nos produits d'assurances (voiture, habitation, mutuelle)... - C'est une bonne idée (...) je vais me pencher sur le sujet.» Dans les études qualitatives, finalement, les bavards ont toujours raison quand on peut savoir ce qu'ils se disent.
Plus de collaboratif enfin. Parce que le Web qualitatif, c'est surtout la transformation du qualitatif en collaboratif. C'est la possibilité donnée aux gens de se parler pour mieux construire ensemble. Le pouvoir donné à l'homme de la rue, à ce consommateur ou à ce citoyen qui n'appartiendra jamais à aucun club, à aucun cénacle, à aucun think tank, à aucun brain trust, de faire cette expérience de l'écoute fraternelle et du penser ensemble. «C'était une expérience géniale, pouvoir donner son avis et surtout lire ceux des autres et pouvoir répondre, je souhaite beaucoup de courage à tous les participants en espérant vous retrouver pour de nouveaux thèmes...» Ce sera avec plaisir, merci.