La décision de TBWA de ne plus avoir une direction de la création est symptomatique d'un malaise qui ne va faire qu'empirer. A quand les agences qui feront un communiqué pour nous dire qu'elles ont enfin trouvé une solution pour «dégouroutiser» leur entreprise en limitant aussi les créatifs?
Loin d'une réaction qui pourrait être traitée de corporatiste, je veux ici parler de ce que nous sommes, de ce que nous faisons et de ce que notre métier doit devenir. Comme le disait John Hegarty aux Creative Mornings: «Creative have to be at the top of the agencies.» Au fond, quelle est la valeur d'une agence, qui apporte les idées, qui fabrique, qui ose, qui invente?
Nous, créatifs, sommes coupables d'avoir laissé d'autres tenir pour nous les cordons de la bourse. C'est pour cette raison de responsabilité créative que j'ai toujours voulu m'investir et investir dans les agences dans lesquelles j'ai travaillé. Nous créons la valeur avec nos idées et nous devons être les premiers concernés par le chiffre d'affaires et par la rentabilité. Malheureusement, peu d'entre nous ont choisi la voie de l'entrepreneuriat ou de la responsabilité.
Aujourd'hui, cela devient crucial. Le métier de directeur de la création est l'endroit le plus réjouissant et le plus dur dans une agence. On est au centre de tout. La pression est grande. Les épaules doivent être larges, l'esprit doit être libre, mais il faut savoir aussi jouer de la calculette et être suffisamment psychologue pour gérer les rêves des créatifs et les rêves des clients. Nous avons une grande idée de ce que nous faisons, comme des chefs cuisiniers qui veulent être fiers de leur plats mais qui veulent que la salle se régale!
C'est une entreprise en soi. Alors, oui, on peut se passer d'un grand chef. Combien de temps?
On peut se dire qu'après tout, on vivra mieux dans une agence où il n'y a que des patrons qui n'ont jamais trouvé une idée mais qui ont la capacité de gérer. Mais c'est illusoire et dangereux pour notre industrie. Il est urgent pour les créatifs de mesurer l'importance de leur rôle et de le revendiquer haut et fort.
Beaucoup aujourd'hui prennent des risques en montant des agences, en prenant leurs responsabilités. Il n'y a aucune fatalité à rester un salarié de luxe toute sa vie. Oui, c'est plus dur, mais c'est le seul moyen de ne pas se retrouver dépendant et à la merci de ceux qui ont mieux compris les enjeux économiques et les enjeux de pouvoir.
Le contexte économique et la profonde mutation que vit notre métier rend notre combat encore plus difficile. Pourquoi s'emmerder avec des idées et, encore pire, avec des gens qui en ont alors qu'on peut faire autrement. Le «big data» ne remplacera jamais la «big idea». Jamais la création n'a jamais été aussi importante pour les marques. Alors plutôt que de supprimer la fonction, il va falloir vous habituer nous avoir en face.
Car nos idées seront toujours plus fortes que vos organigrammes, parce que nous avons pris la tête de plusieurs agences. Je fais le pari que celles qui gagneront demain seront gérées par nous.