Les fêtes de fin d'année étaient à peine finies que débutaient les soldes. Pour la grande distribution, c'est une période d'intense rivalité promotionnelle: l'enseigne peut espérer accroître son trafic et - par une présentation alléchante des produits - amener la clientèle à augmenter son panier moyen. Le consommateur, qui bénéficie de 20, 30 voire 50% de réduction (deux produits pour le prix d'un), fait une bonne affaire. Quant à la marque, elle voit ses ventes se multiplier en quelques jours. Bref, chacun a de quoi être content. Sauf qu'à y regarder de près, tout le monde n'est pas forcément gagnant. L'industriel peut même être franchement perdant sans en avoir conscience.
Depuis quelques années, sous la pression des enseignes qui se livrent une concurrence exacerbée et qui ont besoin sans cesse d'augmenter le trafic de leurs consommateurs, les marques sont poussées à intensifier l'effort promotionnel. En France, les «promo» représentent déjà 20% des ventes. En Grande-Bretagne, cela frise même les 40%! Et non seulement, le volume des promotions ne cesse de grimper, mais le montant des remises est lui aussi de plus en plus délirant, atteignant jusqu'à -70%. Il n'y a quasiment plus de limites. Et difficile pour un fabricant de ne pas se plier au diktat de l'enseigne, sous peine de voir ses produits déréférencés.
Visibilité de la marque, mise en avant d'un savoir-faire, augmentation sensible des ventes... les promotions ont leur utilité, et il n'est pas ici question de remettre en cause leur existence. Les chiffres à ce sujet sont d'ailleurs éloquents. Avec les promotions, les volumes de ventes sont multipliés de 2 à 10 fois. Pour le fabricant, la promotion est une opportunité qui lui permet de remplir ses objectifs à court terme. Il peut espérer gagner en part de marché, lutter contre une érosion des volumes ou (re)lancer un produit. Ainsi, un consommateur qui achète une bouteille de soda en promotion de 2 litres au lieu de son achat régulier, à savoir une bouteille d'un litre, sera enclin à boire plus de soda dans une période donnée. Dans ce cas, le fabricant aura doublement gagné son pari: les ventes et la consommation vont augmenter. Sans compter les nouveaux consommateurs qui seront «captés» à la concurrence.
Cannibalisme de marque
Pour la direction commerciale de la marque qui analyse toutes les semaines les indicateurs de vente, cette stratégie peut sembler parfaite. Oui, mais il s'agit ici d'un raisonnement à court terme. En effet, si le client ne consomme pas davantage de soda, il attendra d'avoir fini sa bouteille de 2 litres avant de racheter une bouteille d'un litre. Et entretemps, il se sera détourné des autres produits de la marque: c'est ainsi qu'à travers leurs actions de promotion, les marques se cannibalisent sans en avoir conscience et sans en mesurer les conséquences sur les ventes des produits «fond de rayon» qui restent leurs principales sources de profits.
Cet exemple peut se répéter à l'infini avec des effets plus pernicieux sur des produits non alimentaires dont la consommation est régulière et qui peuvent être stockés sur du long terme. On estime généralement que l'investissement en promotion de la marque n'a d'effets positifs que sur une moitié de la population ciblée, et encore: sur cette moitié, quelle est celle qui va pouvoir être vraiment fidélisée? Les consommateurs sont de plus en plus «zappeurs» et n'hésitent pas à acheter une marque concurrente quand celle-ci fait aussi de la «promo».
Stopper l'hémorragie
Au final, le montant financier - conséquent - consacré à la «promo» ne se matérialisera pas forcément en nouveaux consommateurs ni en hausse sensible de la consommation à moyen-terme. Tandis que parallèlement, le fabricant aura vu ses marges fondre et la réputation de ses marques malmenée voire galvaudée faute de lisibilité pour le consommateur sur la valeur réelle du produit.
La «promo» est devenue un gouffre sans fin, outil de concurrence entre enseignes financé par les fabricants. Les fabricants doivent donc absolument reprendre la main, et ne pas perdre de vue que le rôle de la promotion est avant tout orienté consommateur: recruter, fidéliser et développer les ventes à long-terme. Ce n'est pas parce les fabricants sont soumis à des contraintes très fortes de la part des enseignes qu'il ne leur faut pas piloter précisément leur «enveloppe» promotion et en espérer un juste retour sur investissement. Ils doivent évaluer les impacts d'une promotion sur leurs marges à long terme, quitte à renoncer à certains volumes de promotion non rentables, et oui, dans ce cas, la promotion sera gagnante.
Ce changement de paradigme est un travail en profondeur, transversal à l'entreprise. Certes le sujet est complexe et nécessite des compétences analytiques qui ne figurent pas dans l'ADN de ces organisations. D'où leur tendance à ignorer le problème. Et pourtant, il y a urgence à agir si elles veulent stopper l'hémorragie et rétablir leur rentabilité.