Il est dans l'air du temps, en France, de prêter aux petites entreprises toutes les vertus et aux grandes tous les vices. Celles-là, humanistes par nature et véritable poumon de l'emploi, seraient dirigées par des petits patrons sympathiques qui gagnent leur salaire à la sueur de leur front ; celles-ci seraient désincarnées et cyniques, à la fois symboles et victimes expiatoires du grand capital mondialisé et déraciné...
Tout cela comme si les vices et les vertus entre les hommes n'étaient pas distribués indépendamment de leur statut et des organisations où ils se meuvent. Tout cela comme si les grandes entreprises françaises n'étaient pas essentielles à la dynamique de nos PME/PMI et ne constituaient pas de formidables atouts pour notre puissance économique menacée, sur des marchés aussi stratégiques que l'énergie, l'eau, les transports, l'alimentation, la santé, l'environnement, la construction...
Pour autant, ce clivage mérite notre attention à plusieurs titres. En premier lieu, parce qu'il révèle combien les entreprises, si elles sont le souci de communiquer sur leur ADN afin de cultiver leur image propre, doivent aussi penser le modèle d'entrepreunariat auquel elles se rattachent et lui donner du sens, au risque de voir leur image singulière partir avec « l'eau du bain »...
En second lieu, parce que ce « malaise dans la civilisation » des entreprises est peut-être aussi le révélateur d'un malaise de communication autour de l'engagement des figures dirigeantes de nos grands groupes. La France a été riche de grands patrons, de figures tutélaires, certes un peu paternalistes (ce qui est devenu très mal vu...), mais qui avaient en premier lieu l'estime et le respect de leurs salariés (ce qui est la vraie assise populaire et démocratique des chefs d'entreprise), pour avoir été des visionnaires engagés et de grands gestionnaires.
Les Claude Bébéar, Jean-Luc Lagardère, Antoine Riboud, François Michelin... ont été des remparts contre une vision manichéenne, devenue dominante, de nos grandes entreprises. Ces dirigeants, enfants de la guerre et des Trente Glorieuses, enfants des valeurs républicaines françaises et d'une internationalisation en ébullition, ont su conjuguer ce qui a fini par nous apparaître contradictoire : le sens de l'effort et la générosité, la fierté nationale et l'ouverture au monde... Ils ont su incarner et représenter un patronat qui n'avait pas à se justifier tant il était dans son rôle et à sa place.
Certes, on a vu depuis des « aventuriers », dans le sens le plus navrant du mot, pervertir de leurs ambitions médiocres des entreprises respectables, aidés d'une prime à la casse humaine par une finance désarrimée du réel. Reste que l'ivraie ne saurait occulter le bon grain.
Cette humeur du temps nous interpelle, nous communicants, sur la manière juste de soutenir et d'accompagner ceux des patrons d'aujourd'hui qui sont les héritiers de nos grands capitaines d'industrie d'hier afin qu'ils puissent s'affirmer dans le débat public comme les porte-parole décomplexés et les aiguillons crédibles d'une ambition économique et social - à la mesure de la crise structurelle que nous traversons - qui ne peut se faire sans eux.
Il importe qu'une parole soit aussi rendue aux grandes entreprises, tant beaucoup ont parlé bien mal en leur nom. Sans angélisme, sans cynisme. Et si le communicant se fait ici leur avocat pour dire « parole à la défense », le temps est bien à l'offensive !