Vincent Peillon suggère qu'un débat soit lancé sur le dispositif législatif concernant la consommation de cannabis et sa dépénalisation? Le voilà aussitôt recadré par Jean-Marc Ayrault. Un couac gouvernemental de plus... suivi d'une nouvelle offensive, cette fois de la ministre de la Santé Marisol Touraine, qui espère que les salles de consommation de drogues pourront être expérimentées d'ici la fin de l'année. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le sujet est «clivant». Au sein du gouvernement comme dans la société.
On ne compte plus les sondages réalisés ces derniers mois sur le sujet. A la suite des propos du ministre de l'Education nationale, Harris Interactive a de nouveau interrogé les Français, les 16 et 17 octobre 2012, pour connaître leur avis sur la question, après une étude réalisée en mars dernier. Près des deux tiers (65%) des sondés affirment être opposés à la dépénalisation, qui consiste à supprimer les sanctions pénales (amende et emprisonnement) pour ceux qui consomment du cannabis, une hausse de 4 points par rapport au sondage de ce printemps, 43% se disent même «tout à fait opposés».
L'avis est encore plus tranché sur la question de la légalisation du cannabis, qui consisterait à en autoriser la vente et la consommation au même titre que le tabac: seuls 26% des Français y sont favorables. Contre toute attente, ce ne sont pas les jeunes (18-24 ans) qui sont les plus libertaires, puisqu'ils sont très majoritairement défavorables à la légalisation (77%). 43% y sont même «tout à fait opposés», un score qui tombe à 33% parmi les 25-34 ans.
Sans surprise en revanche, les sympathisants d'Europe Ecologie-les Verts sont majoritairement en faveur de la dépénalisation du cannabis (67 %) alors que les sympathisants de droite (UMP, UDI) ne sont que 17%. Un résultat encore plus marqué qui chute à 13% pour les sympathisants de droite lorsqu'il s'agit de la légalisation.
Il y a donc un blocage en France dû, selon la sociologue Anne Coppel, auteure de Drogues: sortir de l'impasse, à un positionnement extrême des politiques et de l'opinion publique: «Le débat en France est focalisé sur la répression versus le laxisme, il est bloqué sur cette alternative.» La France fait figure d'exception dans son refus d'adopter de nouveaux textes puisqu'elle est «l'un des pays les plus répressifs d'Europe et celui où il y a le plus grand nombre de consommateurs de cannabis.»
Le Portugal, qui s'est trouvé dans une situation similaire en 2001, a trouvé une issue au débat puisque «les policiers ne sanctionnent désormais que les usagers ayant un comportement dangereux sur la voie publique», indique-t-elle. L'usage de cannabis est ainsi dépénalisé de fait.
Dans l'Hexagone, la politique répressive s'est durcie depuis 2007. «Chaque année, il y a entre 8 000 et 9 000 incarcérations pour usage de cannabis en France, sur 40 000 gardes à vue pour usage de drogues, c'est donc une erreur de croire que la loi n'est pas appliquée», précise encore Anne Coppel. Un jugement erroné des Français qui serait dû à un manque d'informations sur le sujet. «Il faut prendre conscience de la nature du problème et éduquer davantage. La prévention est d'autant plus efficace qu'elle est crédible, alors il faut arrêter de dramatiser pour mieux informer à l'école», selon elle.
parole d'expert
"C'est au niveau local qu'il faut agir"
Anne Coppel, sociologue, co-auteur avec Olivier Doubre de Drogues: sortir de l'impasse.
"A l'étranger, la problématique est autre, puisque c'est au niveau local et régional que des actions sont menées. Des villes comme Francfort ont réussi à trouver des solutions à leurs problèmes de drogues. En France, la politique est centralisée, c'est donc plus difficile, mais on voit quand même un virage s'amorcer avec le débat des salles de consommation, puisque des élus locaux ont déjà demandé à ce que le dispositif soit expérimenté dans leur localité."