«Ceux qui ont payé les places les moins chères, là-haut dans le pigeonnier, vous pouvez applaudir. Les autres, agitez vos bijoux!» Cette provocation de John Lennon en 1963, lors d'un des deux seuls concerts que les Beatles aient donné devant la famille royale, est restée légendaire dans l'histoire du rock. Au-delà, il y a dans ce propos du «working class hero» de Liverpool, quelque chose de l'ordre de la parabole: cette distance irréductible entre ceux d'en haut et ceux d'en bas dans nos démocraties en crise. L'épisode dit des «Pigeons» de la semaine dernière en a été la plus désespérante illustration.

En pleine crise économique, à quelques mois d'un double processus électoral au suffrage

universel direct qui a vu le projet d'un candidat puis d'une majorité parlementaire se voir conférés la plus belle des légitimités, celle du vote, nous assistons, sous l'œil amusé et cynique des médias, à un épisode de communication édifiant: un jamboree politico-corporatiste et une reculade gouvernementale. En somme, ce que la communication peut faire de pire à la démocratie, à une société civile et globalement à ce qu'il reste de sentiment civique.

Mais «les idées ne poussent pas comme des fleurs», disait Max Weber, signifiant ainsi le caractère déterminant du contexte de l'émergence de phénomènes sociaux. Pour comprendre, il nous faut accepter le postulat que nous sommes bien entrés dans une époque où les signes comptent plus que les faits, où la forme a phagocyté le fond et où la parole est devenue le substitut définitif du geste et de la décision.

Commençons par «le mouvement» de nos amis «les entrepreneurs». Au fait, parlons-nous d'entrepreneurs ou d'ex-entrepreneurs? Car il semble bien que la grande majorité de ceux à l'origine et à l'impulsion de ce «mouvement» sont majoritairement des personnalités d'ores et déjà émigrées au cœur de biotopes «tax friendly» (en l'occurrence aux Etats-Unis) ou encore des millionnaires du Net ayant converti leur succès entrepreneurial en rente patrimoniale et bien décidés à la protéger.

D'ailleurs, s'agit il d'un mouvement? Quelques milliers de «like» sur Facebook et de «followers» sur Twitter font-ils un mouvement digne «d'intérêt général» en démocratie? En optant pour les codes du Net – un logo graphiquement inspiré des «Anonymous», l'utilisation de Twitter et Facebook et une revendication simplifiée au regard de la complexité des enjeux–, les «geonpis» ont fait le choix délibéré d'exercer une pression parée de tous les atours de la modernité.

Mais elle est sans visage, accompagnée d'un message «exorbitant» à partir de stratégie de mobilisation de «free riders»: ces fameux «likers», passagers clandestins de la mobilisation qui ne déboursent rien pour monter dans le train de l'action. Quelle est leur représentativité? Que revendiquent-ils vraiment?

Poursuivons avec le ministère de l'Economie et des Finances. Depuis l'élection présidentielle du 6 mai 2012, les hôtes de l'Elysée et de Matignon ne cessent de faire de la concertation et de la négociation l'alpha et l'oméga de la méthode de gouvernement. Bercy a pourtant décidé de passer en force sur l'ensemble de sa politique fiscale. Au-delà de la mobilisation virtuelle de «friends», cette triste aventure révèle l'absence de tout dialogue de la part de l'équipe de Bercy avec les forces vives de l'économie française.

Le chaudron patronal était en ébullition du fait d'atermoiements et d'imprécisions dans la communication du ministère. Plus grave, tous les corps intermédiaires ont été négligés, voire contournés. Et en guise de final, un renoncement alors même que la recette prévue va inévitablement manquer.

Que reste-t-il de ce rapt de démocratie? Vu du pigeonnier, sans doute un effarement et un goût amer. L'impression qu'une scène d'un théâtre d'ombres vient de se jouer sous leurs yeux. Une scénographie de pure communication qui n'a plus rien à voir avec la responsabilité politique. Voilà comment on construit très efficacement la «société de défiance», selon le terme de Pierre Cahuc, où se mélangent les ingrédients du corporatisme puissant (ancien et moderne) et d'un étatisme des plus autistes.

Il est de tradition au pigeonnier («piccionaia» en italien, qui signifie aussi la «pagaille») de se donner tous les droits au mépris des conventions bourgeoises des amateurs d'opéra: armé de sifflets, de «bouh!» et de légumes plus ou moins frais, mais aussi de tonnerre d'applaudissements et de fleurs, c'est depuis le pigeonnier que le peuple décide, arbitre et tranche. Bref, ce sont les pigeons (les vrais) qui accordent leur confiance. Attention à ne pas les provoquer avec de pitoyables spectacles… loin du programme annoncé. Au risque de voir la déception se transformer en incivilité!

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