A quoi reconnait-on une cellule de crise utile pour une entreprise? Laissons de côté la qualité de l'éclairage et le goût du café, c'est la présence de trois acteurs devenus incontournables autour du dirigeant et décisionnaire qui fait la différence: le responsable des affaires juridiques, le plus souvent accompagné d'avocats spécialisés garants de la crédibilité de l'entreprise et bien souvent de sa pérennité; le responsable des relations publics, qui va devoir gérer le tempo médiatique et les prises de paroles de l'entreprise; les experts du Web social, apparus plus récemment, qui sont capables de décrypter et d'évaluer le flux digital, sa vitesse de diffusion et surtout l'état de l'opinion, avide d'expression et en général peu indulgente à l'égard de l'entreprise.
Ces trois fonctions, aujourd'hui indispensables, proposent trois façons de «voir» et d'interpréter la crise. Quand ces trois-là parlent la même langue, lorsque le patron de l'entreprise attaquée a pu chausser ces triples lunettes, il peut commencer à desserrer le nœud de sa cravate et prendre des décisions plus sereinement. Le problème, c'est que cette triple entente est encore bien rare ou imparfaite, chacun ayant des méthodes et des objectifs qui semblent irréconciliables avec ceux des deux autres.
Là où l'avocat voudra temporiser les prises de parole, le responsable RP sera, lui, dans l'obligation de répondre aux demandes des médias et d'apporter des éléments de langage illustrant la posture de l'entreprise. L'équilibre entre le silence juridique et la déclaration «de trop» qui risquerait de compromettre une procédure qui pourra durer des années demeure instable. A cela s'ajoute, depuis quelques années maintenant, une pression venue de l'opinion publique, qui exige transparence et information en temps réel. Tout signe de malaise ou de fermeture sur soi de l'entreprise sera immédiatement interprété comme un aveu de culpabilité. Quant aux collaborateurs, les croire silencieux sur les espaces numériques pendant une crise tient de l'aveuglement.
Quand survient la crise, laisser les affaires juridiques confisquer la communication en leur octroyant un droit de veto inaliénable constitue un écueil encore trop courant: paralysée par les contraintes, l'organisation fait silence et prête ainsi le flanc aux interprétations hasardeuses ainsi qu'à l'emballement. Or le temps de la justice n'est pas le temps médiatique, ni dorénavant le temps des médias sociaux. A l'inverse, le laisser-faire peut constituer un dangereux précédent. Au nom de quoi peut-on laisser passer un détournement de logo particulièrement outrancier, un faux compte Twitter diffusant des rumeurs en reprenant les attributs d'une marque, ou une vidéo parodique?
En réalité, loin d'être opposés, ces points de vue se complètent parfaitement et permettent, quand les équipes respectives prennent en compte les enjeux de chacun, d'éviter le pire. Avocats et experts juridiques sont bien souvent les premiers écoutés par le décideur ou dirigeant de l'entreprise: l'enjeu de certaines crises s'évalue en dizaines de millions d'euros. Pourtant, même en 2012, peu d'entre eux connaissent réellement le nouvel écosystème juridique d'Internet. Le droit d'Internet est devenu une affaire de professionnels spécialisés, qui sont de précieux alliés à la fois pour éviter un certain nombre de «bourdes», mais aussi sur un plan médiatique.
Le responsable des relations publics, lui, continue de jouer un rôle déterminant dans la gestion de crise. Une bataille gagnée sur le plan juridique peut être perdue médiatiquement. Les exemples ne manquent pas. Conscient des enjeux «long terme», il doit aussi savoir gérer les attentes des publics (journalistes, collaborateurs, partenaires...) dans les premiers jours. Combien de crises se sont jouées dans la première heure? Sa connaissance du web, au moins à un premier niveau, est aussi un critère important pour savoir si il s'agit d'un bon conseiller ou d'un conseiller, disons, à l'ancienne.
Quelle est alors la place de l'expert Web? Il complète ce jeu à trois grâce à sa capacité à «lire» l'opinion, le niveau de gravité des conversations autour de la crise, l'impact d'une décision, d'une réaction. Pas grâce à une boule de cristal mais grâce à une analyse objective de ce qui se trame réellement, au-delà de l'écume d'un bad buzz qui ne dure bien souvent que quelques heures. De plus, sa capacité à organiser et à moduler la prise de parole de l'entreprise pour la rendre audible par une opinion qui s'exprime dorénavant sans filtre et sans contrôle grâce aux réseaux sociaux, en fait un puissant atout, capable d'adapter les discours trop institutionnels à la netiquette.
La qualité de la communication lors d'une crise dépend de nombreux facteurs, à commencer par la personnalité du dirigeant, l'organisation de l'entreprise ou, bien sûr, le contexte médiatique, qui peut s'emballer et engendrer un orage irrationnel. Quoi qu'il en soit, la qualité et le niveau d'entente d'un trio d'expert en droit, des médias et d'Internet constitue une base fondamentale lorsqu'il s'agit de sauver et de protéger la réputation globale d'une entreprise.