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La décision du Conseil constitutionnel de censurer la loi sur le harcèlement sexuel n'en finit pas de causer des remous sur la Toile.

«Le grand bond en arrière, le retour du droit de cuissage!» «Le Conseil constitutionnel est une bande de machos, avec une représentation faussée de la place des femmes dans la société»... Voilà le type de commentaires postés sur Lefigaro.fr ou Lemonde.fr après l'annonce, le 4 mai dernier, de la décision des Sages - sept hommes, deux femmes - de censurer la loi sur le harcèlement sexuel.

La décision rendue par le Conseil, juste avant le second tour de l'élection présidentielle, a fait l'effet d'une bombe dans l'opinion. Très vite, les associations féministes se sont indignées et ont lancé des appels à la mobilisation. A l'instar de l'Association contre les violences faites aux femmes (AVFF): « Pour contrer cette décision criante d'injustice, une nouvelle loi doit être rédigée. Elle aurait d'ores et déjà du être votée; en effet les pouvoirs publics - gouvernement, Parlement -, avaient de longue date été alertés sur les carences des textes en vigueur et sur le risque de contrariété à la Constitution.»

Incompréhension, voire indignation sont les points de vue majoritaires qui s'expriment sur Internet. Et même la très pusillanime Association nationale des directeurs des ressources humaines est montée au créneau: «L'ANDRH, au nom du respect des droits des femmes et des hommes, appelle le nouveau gouvernement à s'emparer de cette question afin de mettre un terme à ce vide juridique intenable.» L'organisme professionnel appelle même à «une forte mobilisation du monde de l'entreprise».

Les échos sont plus mesurées et plus techniques du côté des blogs de juristes, comme sur celui de Maître Eolas qui s'attache à décortiquer le problème de droit: «Quand bien même cette abrogation (...) est bien fondée, les conséquences sont terribles pour les victimes de faits de cette nature, qui sont dans leur écrasante majorité des femmes (...). Nous sommes ici dans un cas d'école de malfaçon législative (...).»

Si la majorité des réactions sont vives, cela s'explique aussi par le fait que le délit de harcèlement sexuel, créé en 1992, était entré dans les mœurs. Il était, en particulier au bureau, devenu au fil des années un allié des femmes pour résister à des demandes trop insistantes. Un phénomène qu'avait mesuré au milieu des années 2000 l'Observatoire des discriminations de Jean-François Amadieu, à l'université Paris I: à l'époque, 44% des hommes et 39% des femmes interrogés disaient que les femmes étaient «la plupart du temps» confrontées à des avances sexuelles.

Le séisme déclenché par la décision du Conseil constitutionnel n'a pas fini de produire des répliques: en effet, un avocat s'est engouffré dans la brèche pour tenter d'obtenir la même abrogation pour le délit de harcèlement moral (Lemonde.fr, jeudi 10 mai). D'ailleurs, le tribunal correctionnel d'Epinal a accepté de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative au harcèlement moral, ce qui suspend l'ensemble des procédures en France selon Me Stéphane Giuranna, l'avocat qui l'a soumise.

 

Parole d'expert

 

Olga Trostiansky, fondatrice du laboratoire de l'égalité

«Inquiétude et incompréhension»

«Si les réactions dans l'opinion sont aussi vives, c'est parce que cette décision s'inscrit dans un contexte spécial: depuis un an et le début de l'affaire Strauss-Kahn, le grand public prend conscience du degré de sexisme et d'inégalités hommes-femmes de notre société. Du coup, ce vide juridique soudain crée une grande inquiétude et provoque de l'incompréhension dans l'opinion: pourquoi ne pas avoir attendu qu'il y ait une nouvelle loi en préparation avant d'abroger l'ancienne? Le Conseil constitutionnel aurait pu patienter six mois et il n'y aurait pas eu de vide juridique.»

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