Par deux décisions en date des 30 novembre et 13 décembre 2011, le tribunal de grande instance de Paris (3e chambre - 1ère section, n° RG: 10/05299) et la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 1, n° RG: 09/25107) ont tranché en faveur de la libre disposition des expressions «J' ♥», «I ♥» et «I LOVE». Selon ces décisions, ces expressions, associées à un terme usuel ou descriptif du produit désigné, ne permettraient pas à la marque de remplir sa fonction essentielle qui est de garantir au consommateur l'identité d'origine des produits ou services, condition indispensable à son caractère distinctif.

Monsieur Zilberberg, titulaire de nombreuses marques «I ♥ PARIS» et «J'♥ PARIS» exploitées pour des articles de souvenir de la capitale, et sa licenciée, la société France Trading, entendaient empêcher un concurrent d'exploiter sa marque semi-figurative «...» pour les mêmes produits. En réaction à l'opposition formée contre le dépôt de cette dernière, la société Paris Wear Diffusion demandait au tribunal de Paris de prononcer la nullité des marques antérieures «I ♥ PARIS» et «J'♥ PARIS».

Son action était fondée tout d'abord sur le fait que le dépôt «I ♥ PARIS» était frauduleux, en considération du succès planétaire de la célèbre marque américaine «...» de Milton Glaser en date de 1977, dont les dérivés ont depuis été apposés universellement sur les articles les plus variés du secteur touristique. Il était en effet soutenu que Monsieur Zilberberg avait souhaité indûment se réserver un monopole sur des expressions devenues nécessaires dans le secteur touristique, et interdire à tout tiers son exploitation en France.

Mais c'est sur le deuxième fondement invoqué, à savoir l'absence de distinctivité, que le tribunal de grande instance a retenu la nullité, et ce bien qu'il ait considéré que les signes «I ♥» et «J'♥» n'étaient pas des signes nécessaires, génériques ou usuels des produits visés dans les enregistrements objets du litige (par exemple, vêtements, porte-clefs, parapluie, etc.) lors du dépôt des marques. Le tribunal a en effet jugé que les signes «I ♥» et «J'♥» + «PARIS» sont dépourvus de distinctivité, faute de permettre au public visé, à savoir les touristes visitant Paris, de garantir l'identité d'origine des produits en question, c'est-à-dire d'assurer la fonction de marque.

Selon lui, le touriste ne perçoit ces marques que comme un signe décoratif, exprimant un sentiment dans un langage universel («♥») et ne voit pas dans ce signe une identification d'origine commerciale du produit mais un souvenir de la ville de Paris. Dès lors, pour les juges de première instance, «seule la fonction de décoration et de souvenir est attachée au signe et donc exclusive de son utilisation pour désigner aux yeux du public concerné l'origine des produits». Les cinq marques de Monsieur Zilberberg ont ainsi été annulées pour les produits vendus dans le cadre de son activité de vente de produits touristiques.

Par ailleurs, Monsieur Zilberberg prétendait également avoir des droits d'auteur sur les logotypes «...» et «...», ce qui a été rejeté en raison de l'existence de la célèbre marque précitée «...». Monsieur Zilberberg et la société France Trading ont interjeté appel de cette décision.

Parallèlement, la cour d'appel a œuvré de son côté pour permettre la libre utilisation de l'expression «I LOVE», dans un arrêt en date du 30 novembre 2011 confirmant une décision du tribunal de grande instance de Paris du 30 octobre 2009 (3e chambre, 2e section, HPP SARL c. Zara SARL et Inditex SA).

Considérant que «T's» est perçu par le consommateur comme une abréviation du mot «tee-shirt», il a été jugé que la marque «I LOVE MY T's», désignant des vêtements, était une expression laudative à visée promotionnelle que le public concerné ne peut percevoir que comme telle, et qui ne permet pas l'identification de l'origine commerciale des produits offerts.

Ces deux décisions rappellent avec force que l'inaptitude de la marque à remplir sa fonction essentielle - qui est de garantir au consommateur l'identité d'origine des produits et services visés par la marque - établit le défaut de caractère distinctif de la marque. Elles démontrent en outre la tendance des juges à adopter une appréciation in concreto de l'usage de la marque, au regard de l'analyse de son caractère distinctif.

En effet, dans la première décision concernant l'association des expressions laudatives avec la ville de Paris, les juges ont pris en considération le fait que les produits visés par les marques litigieuses étaient exploités pour des produits touristiques. De même, dans la deuxième affaire concernant l'association de l'expression laudative avec des tee-shirts («T's»), les juges ont prononcé la nullité de la marque pour l'ensemble des «vêtements et autres produits de l'habillement» désignés, prenant visiblement en considération le fait que la marque ne serait exploitée que pour des tee-shirts.

Expression des sentiments et garantie d'origine commerciale ne seraient pas compatibles selon cette nouvelle jurisprudence. Affaire à suivre...

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