L'autre jour, j'allume la télévision, tranquille. J'aime regarder la publicité, depuis toujours. J'en ai même fait mon métier. Et puis je tombe sur un film Perrier. Un film de 1976. Après je vois Lesieur me rappeler qu'«elles veulent tout» et cela me rappelle quelque chose. Hollywood Chewing-Gum nous balance un historique de ses films. Monsieur Marie est de retour. On nous refait le coup de Ben & Nuts. Régulièrement, on exhume Don Patillo. «Tu vas voir qu'ils vont déterrer la mère Denis», me lance mon mari. La marque Vedette est morte avec son égérie. Ouf. Plusieurs fois, je me surprends à dire à mes enfants: «C'est la publicité de quand j'étais petite.»
Alors quoi? L'inspiration aurait-elle quitté le navire publicitaire? Brimades et oppression empêcheraient-elles le brio créatif de s'exprimer? Stasi et goulag guetteraient-ils les créatifs un peu trop audacieux à la sortie de leurs agences? Autour de moi, je vois des directeurs artistiques, des rédacteurs épuisés, lavés, rincés. Souvent désabusés aussi - quand ils ne se qualifient pas eux-mêmes de complètement abusés. (Les gens du Web, les digital natives, ces enfants chéris que l'on envisage comme des sauveurs, parfois arrogants avec leur langage codé, vivent leur quart d'heure de gloire mais pour combien de temps encore?)
Quelques résistants me sortent le couplet, façon Lara Fabian, du «J'y crois encore» et cela me fait sourire. Je demande à mes anciens collègues: «Alors, et toi? Tu fais quoi en ce moment?» Et de m'entendre répondre: «Je suis sur des compets.» Les mieux servis, en termes de tournages, sont ceux qui travaillent sur des sujets agroalimentaires, des films qu'ils n'assument pas et qui justifient leur maigre augmentation annuelle du mois de mars... (Que souvent d'ailleurs, les directeurs de création accordent en détournant le regard.)
L'argument massue pour gagner mieux sa vie étant: «J'ai fait rentrer de la marge», quand je me souviens d'une époque où un prix obtenu bousculait la ligne en bas de notre bulletin de paie en même temps que celle de notre sourire.
On se barde. On se barricade. On se couvre. Avant, on pestait contre les tests. Aujourd'hui, ils ne suffisent même plus à justifier le déclenchement d'une campagne. Les choses s'arrêtent net sans que l'on prenne la peine d'avancer une raison, disons, raisonnable. Faire correctement son métier est devenu un luxe. Et je ne parle même pas du coup des honoraires déshonorants...
La peur semble avoir gagné du terrain. Moi-même, en écrivant ces mots, je ne peux m'empêcher de penser: «Bon, c'est mort. Je ne travaillerai jamais pour Lesieur, ni Panzani, et encore moins Perrier.» Je vois des directeurs marketing écrire des scripts et se les vendre à eux-mêmes, devant une agence qui masque mal sa consternation sous des sourires crispés. Je vois des créatifs maudire des patrons d'agences de ne pas soutenir l'expression de leur travail, là où la querelle bon enfant entre le commercial et le directeur artistique était la règle. Je vois des rédacteurs embrasser à pleine bouche le syndrome de Stockholm, en devenant à leur tour des vendeurs tous terrains de choses qui les désolent. Les frontières entre les corps de métiers semblent avoir fondu comme le maquillage d'une égérie beauté sous les lumières d'un photographe excédé d'avoir dû baisser ses tarifs.
Je me souviens de ces pères de la publicité qui construisaient des marques jour après jour. On leur faisait confiance, on prenait le temps d'écrire une histoire pérenne et signifiante. Aujourd'hui, je ne vois guère plus que des coups, souvent brillants, déployés par des snipers gonflés à bloc, qui finissent par se brouiller avec des clients qui avouent s'être sentis violés. (On justifie ses trois minutes de courage comme on peut...). Aujourd'hui, je vois des agences vendre consciencieusement des copies et des stratégies publicitaires sans envergure, en employant des accents shakespeariens devant une assistance à qui l'ont fait croire qu'ils vont effectuer le grand saut créatif.
Et puis, j'écoute les silences lâches de ces apparatchiks de la publicité. Ils profitent de leur gloire passée, pour se forger une place au soleil derrière un bureau d'où plus rien ne sort vraiment, et je me rassure en pensant que certains résistent encore. Je pense à Villaret, à Babinet, je pense à Arthur, à Lentschener. Je pense à Dru, à Xiberras, au Belge, à Sacco et Fitch. Je pense à Pierre et Romain, et à Alexandre Hervé. Je pense à Gaultier, et je me dis que tout n'est peut-être pas perdu.