Alain Godard avait peur de l'avion. Dans les années 1970, c'est en bateau qu'il allait, tous les six mois, discuter à New York avec l'homme qui l'avait embauché pour créer, avec Bernard Brochand, DDB Paris. De quoi parlaient ensemble Bill Bernbach et Alain Godard? De création, c'est-à-dire d'idées et de la manière de les raconter. C'est à ça qu'il était le meilleur et qu'il consacrait tout son temps.
Les budgets meetings pouvaient toujours attendre, il avait mieux à faire: inventer des histoires qui resteraient dans la tête des gens. Des histoires pour la publicité: Gringo de Jacques Vabre, Maître Kanter, Canada Dry, Paribas, Rhône-Poulenc. Des histoires pour le cinéma: La Guerre du feu, Le Nom de la rose, Stalingrad, L'Ours, Les Deux Frères.
Derrière son inventivité, ou plutôt à son service, c'est sa rigueur intellectuelle qui donne leur force à toutes ces histoires. Avec pour le copy writer et le scénariste une seule exigence: comment surprendre et rester convaincant, crédible?
J'ai rencontré Alain Godard lorsqu'il était président de Havas Dentsu Marsteller, à l'époque première agence hexagonale. A la suite d'un déjeuner Chez Edgard où il avait commandé, comme il le faisait immanquablement, une salade de tomates et une sole grillée, il m'avait proposé de le rejoindre comme directeur général.
Soyons honnête: Alain était peut-être drôle, mais on ne peut pas dire qu'il était rigolo. Il n'aimait ni les cons ni les paresseux. Ce qui ne laissait pas beaucoup de monde et surtout foutait une trouille terrible à tous ceux qui l'approchaient.
Il ne supportait pas qu'on présente à un client une idée qui ne soit pas parfaitement aboutie, dans sa conception comme dans son exécution. Le travail proposé se devait d'être inattaquable et imperméable, disait-il, à toute remarque du spécialiste en communication qu'est le jeune stagiaire chez le client, frais émoulu d'HEC.
Au risque d'en surprendre certains, il était très vite devenu un ami. Au point d'avoir la délicatesse de passer un jour quatre heures au bureau à m'expliquer, ou plutôt à me démontrer, toutes les raisons qui faisaient du Jour le plus long dans sa construction narrative un grand film. Quatre heures non pas perdues ou gaspillées mais quatre heures qui touchaient à ce qui reste toujours le cœur de notre métier: maîtriser les ressorts de la conviction ou, plus trivialement, savoir emporter un public.
Alain vient de tirer sa révérence. Jacques Séguéla doit être triste. Il a perdu cet adversaire amical qui, voisin de bureau au siège d'Havas Advertising, rue de l'hôtel de ville, à Neuilly, faisait tout pour être meilleur que lui. Qui parfois n'y arrivait pas. Et parfois y arrivait. Jacques Séguéla doit être triste. Comme moi, immensément triste.