Tribune

Ça balance pas mal à Paris.

Il aura fallu deux ans, la constance et la pugnacité de quelques-unes, pour briser l’omerta qui règne dans nos métiers. C’est violent. C’est sans filtre, c’est intransigeant, mais c’est vertigineux.

Sous le feu des accusations, la défense tente un dernier baroud.

Elle évoque l’avènement d’une épuration morale et d’un ordre nouveau qui pénalise les propos graveleux au pays de la gauloiserie, qui judiciarise les relations humaines et sexuelles et les régule à l’américaine, à grand renfort d’avocats et d’articles de loi. C’est juste : le sel de la vie ne tient pas dans un code civil. Elle pose la question du droit à la critique qui peut envoyer un.e manager un peu vif.ve aux prud'hommes pour motif de harcèlement moral ; celle de la présomption d’innocence et du temps long de la Justice. Cela s’entend. Qui rêve d’arbitraire et des dystopies orwelliennes ?

Mais, face aux carrières empêchées, face aux humiliations sexistes, racistes ou homophobes dévastatrices, consciente que ces arguments ne suffisent pas, la défense se débat et déplace l’argumentation vers les procédés et fait l’économie du fond. Elle convoque l’histoire, mélange délation et légitime défense. Elle brandit les deux ou trois rares erreurs judiciaires – insupportables – mais passe sous silence la peur qui paralyse les victimes et les milliers de plaintes qui n’aboutissent pas. Elle reprend à son compte le talent des uns, le travail des autres, espérant distinguer l’homme du publicitaire. Elle relativise, elle euphémise, elle s’arrange avec la science pour trouver dans l’anthropologie les justifications de leurs comportements. Et pourtant non : « les hommes de Cro-Magnon ne traînaient pas leurs femmes par les cheveux pour les culbuter au fond de la grotte », déclare la paléontologue Claudine Cohen. Il n’y a donc aucune raison biologique valable pour que ceux du 21ème siècle, 70 000 ans plus tard, s’arrogent, dans le confort de leurs bureaux au design soigné, ce droit léonin.

Dégâts collatéraux

Il aura donc fallu deux ans, après la vague #metoo, pour que les Casanova de circonstance, les arrogants et les pervers qui ont érigé l’insulte et les propositions scabreuses comme qualité managériale en prennent le ressac. La douche est froide. Face à l’adversité, les grands méchants loups repartent la queue basse. Le malaise a changé de camp. Tant mieux.

Mais hélas, ils portent également la responsabilité des dégâts collatéraux que provoque la mise en évidence de leurs agissements :

ceux de la défiance des jeunes vis-à-vis de nos métiers. Si cette industrie, d’ores et déjà confrontée à la critique de sa raison d’être, se donne à lire comme un repère de cinquantenaires pervers et narcissiques, il y a fort à parier qu’ils passeront encore davantage leur chemin.

Ceux du regard porté par nos clients sur les personnalités concernées, confondant cette fois-ci le manager et l’agence, et prenant ainsi leur distance pour se désolidariser de ces pratiques d’un autre âge. Pour les salariés, c’est une double peine : les femmes auront eu à subir personnellement ces violences, quant aux équipes, elles feront les frais de budgets réduits ou perdus avec les conséquences que l’on imagine sur l’emploi.

Quel gâchis qu’une minorité d’individus essentialise et pénalise ainsi notre profession ! Nous voici collectivement assimilés à de vils supplétifs de la brutalité libérale et de l’androcentrisme. Quel gâchis pour la très grande majorité de professionnels, toutes générations confondues, jetés avec l’eau du bain. Alors que nous sommes nombreux à veiller à ces nouveaux équilibres, les bras nous en tombent de consternation. Quel gâchis pour toutes celles et ceux qui sont convaincus que nous faisons un métier formidable, joyeux et utile, où la mixité et la tolérance sont une richesse. Il faut aller au bout de l’examen de conscience et travailler collectivement, avec ceux qui en acceptent courageusement la charge, à la transformation de nos instances. À nous de mettre en place, dans les agences, des relais, des référents et des outils de veille pour que la bienveillance s’oppose à toutes les formes de violence. Pour enfin changer de siècle. Madame et Monsieur Cro-Magnon s’en féliciteront !

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