En 2001, Naomi Klein publiait No logo et beaucoup annonçaient le début de la fin pour les marques, avec une urgence déjà : celle d’une vision apocalyptique de la société de consommation pour un monde sans marque. Et c’est précisément le contraire qui est arrivé. La valorisation des assets marques des plus grands industriels a été décuplée en 20 ans et la marque est, plus que jamais, le repère incontournable des consommateurs qui lui confèrent un rôle, une responsabilité tous les jours plus importante.
Dans notre monde dématérialisé et global, le consommateur a accès à tout, avec des choix de plus en plus nombreux, mais il ne dispose pas de plus de temps pour choisir. Il se positionne donc sur un nouveau paradigme mindfull-mindless, en plus de ceux déjà existant (ses désirs/ses ressources, entre autres). D’un côté, il y a tout ce qui le sensibilise aux conséquences de ses choix, tout ce qui développe sa conscience en termes de répercussions pour la planète, de l’autre, ce dont il a envie, tout simplement. Cette superposition de couches de complexités, de priorités et d’urgences (la planète ? moi ?) fait de la marque une référence absolue pour émerger dans le laps de temps disponible pour le consommateur.
A ce propos, on s’est peut-être trompé dans le diagnostic de la baisse d’attention des messages publicitaires : on l’a expliqué par le fait que le spectateur était hyperstimulé, avait trop de choses à faire à la fois, allant parfois même jusqu’à prétendre que son cerveau se réduisait. Mais si le consommateur ne porte plus autant d’attention aux histoires publicitaires, c’est qu’il ne veut plus qu’on lui raconte d’histoires, qu’on lui vende des machines à rêver ; ce n’est plus ce qu’il attend des marques, il n’a plus de temps à perdre pour ça. A l’exception de quelques catégories comme le luxe, où l’imaginaire reste hors du temps, pour la majorité, il faut se concentrer sur les faits. Le consommateur rejette même les belles histoires, assimilées depuis peu de temps aussi à des mensonges, à des histoires trop belles pour être vraies.
Construire ou faire savoir
Le point de vue de Jeff Bezos est intéressant : il nous dit que dans l’ancien monde, 30% des efforts étaient dédiés à la construction d’une marque, d’un produit ou d’un service, et 70% étaient consacrés à le raconter, à le faire savoir. Aujourd’hui, les proportions se sont inversées. 70% doivent aller à la construction des faits et du rôle social de la marque et 30% à le faire savoir.
Le marketing se rapproche du journalisme : le marketeur devient quelqu’un qui investigue tout ce que fait la marque pour le relater. Le brand content s’est substitué à la communication : on ne fait plus de la publicité, mais on donne un libre accès aux contenus de la marque pour que les consommateurs aillent chercher de l’information, se l'approprient. De ce point de vue, le fameux purpose – la raison d’être – est un sujet sensible, surtout avec la loi Pacte. Entre activisme réel et autoproclamation, les marques peuvent facilement être critiquées.
S’il y a une urgence, elle est là : les marques doivent prétendre à des actions et en démontrer la valeur. Elles ne peuvent pas se contenter de promesses. On le voit très clairement dans le rejet du green washing qui se transforme en purpose bashing. Le purpose est désormais ce que la marque apporte à la société et aux équilibres du monde pour justifier sa présence.
Sensibilisation déphasée
Cela dit, tous les secteurs ne sont pas concernés en même temps : je parlerai donc de sensibilisation déphasée, parce qu’entre l’agroalimentaire et l'horlogerie de luxe, le paradigme mindfull-mindless ne s’applique pas de la même façon. Là où les gens consomment moins mais mieux (alcools, biscuits, fromages, pâtes à tartiner, boissons…), on peut parler d’achat mindfull et d’arbitrages qui favorisent les produits traditionnels ou les marques identifiées comme respectueuses et authentiques, et qui participent aussi de la premiumisation. En plus des qualités organoleptiques, de la traçabilité, d’une histoire originale, du fait d'être authentique, il convient de revenir à des choses compréhensibles, pures et vraies, locales, que le consommateur est prêt à rétribuer et qu’il sélectionne.
Ces changements impactent déjà les stratégies de développement : après la standardisation de modèles globalisés, les marques grandissent de manière localisée et intègrent le fait d’avoir beaucoup de petites unités de production pour multiplier les sources d’authenticité.
Maintenant, acheter, c’est voter. Mais produire, ça sera faire de la politique et je pense que les marques vont prendre parti sur des dimensions sociales encore plus massivement qu’aujourd’hui, avec des positions pour ou contre, des actions sociales, des responsabilités politiques qui iront encore bien au-delà de leur rôle déjà augmenté d’aujourd’hui. Elles sont quasiment toutes recyclables, elles plantent même déjà des arbres – demain elles pourraient devoir rassurer tout le monde et assurer une certaine paix dans le monde, et mieux vaut ne pas raconter d’histoires pour ça.