Chronique

Du sang de batracien coule dans nos veines. Comme la grenouille plongée dans une bassine d’eau froide se laisse lentement ébouillanter sans réagir, nous assistons médusés aux incendies qui ravagent l’Australie sans rien changer de nos habitudes… Mais qu’avons-nous donc dans la tête ? À propos de son ouvrage Le bug humain (Robert Laffont, 2019), Sébastien Bohler, interviewé sur France Culture, défend la thèse selon laquelle « notre cerveau nous pousserait à détruire la planète au nom du plaisir immédiat » et à sa difficulté à penser le futur. Le docteur en neurosciences pointe du doigt le striatum, siège reptilien de notre rapport au temps court, à la satisfaction instantanée de nos besoins, de nos désirs et à l’instinct de reproduction. Il agit en véritable bouclier protecteur de la survie de l’espèce. Celle-ci devenue de fait moins urgente, demeure notre addiction à la dopamine que les stimuli archaïques de la faim, du sexe et du pouvoir déclenchent. Ainsi, les sollicitations du striatum déterminent toujours nos comportements et nous poussent à nous suralimenter, à surconsommer des biens matériels, des voitures, du pétrole, des films pornographiques, des jeux vidéo et des réseaux sociaux… Obésité, infobésité, addictions en tous genres satisfont inlassablement notre frénésie consommatrice. Ils nous distraient alors que la température de l’eau dans la bassine atteint son point d’ébullition. Ce qui assurait hier la pérennité de l’espèce et son émancipation scelle aujourd’hui notre destin et notre disparition à mesure que notre cerveau nous rejoue l’Âge de pierre.

Filles naturelles du striatum, les marques et le marketing, pures créations de nos cerveaux développés, nous donnent tout de suite et en abondance ce que nous attendons. Elles en ont fait une ligne de conduite, plaçant, la main sur le cœur, le consommateur au centre de toutes leurs attentions. Elles ont justifié, d’USP en disruption, les raisons impérieuses d’acheter sans compter, sans autres objectifs que de combler nos libidos, notre appétit de reconnaissance sociale, et nos instincts primaires. Nées à l’origine d’une réalité biologique favorable et protectrice, de nombreuses marques sont devenues à notre insu agents actifs des dérèglements à l’œuvre. Comment échapper à ce conditionnement ? Comment résister à ce matérialisme réflexe ? Le chercheur ouvre des voies et formule l’hypothèse qu’avec le temps, « l'individu peut être éduqué (…) à des plaisirs non néfastes : l'altruisme, par exemple, réveille le circuit de la récompense autant que l’égoïsme ».

La revanche du cortex

Rapportée aux marques, cette analyse peut à son tour dessiner de nouvelles perspectives et infléchir leur rapport au monde. Comment les conseiller alors qu’elles sont pointées du doigt par une partie grandissante des jeunes générations ? Comment affronter les injonctions paradoxales qu’elles suscitent ? Ce sont des questions que la publicité, le branding et toutes les techniques fondées depuis un demi-siècle ont à poser à leurs clients et à elles-mêmes. Les réponses n’auront de sens que si elles sont puisées dans le récit fondateur des marques, que si elles prennent en compte leurs relations aux parties prenantes, à l’environnement, que si elles proposent à leurs publics d’autres valeurs que celles de l’accumulation de biens, de la jouissance instantanée et de la distinction sociale. Elles ont un intérêt objectif à repenser la place qu’elles occupent dans nos vies et dans nos imaginaires en convoquant des notions nouvelles de contribution sociétale durable, de partage, d’attention portée aux autres ; non pas en termes exclusivement quantitatifs, mais sur des notions de bien commun et d’intérêt général aptes, nous dit le médecin, à injecter à celui qui les provoque un shoot de dopamine - vertueux cette fois-ci… Cette approche signera la revanche du cortex sur le striatum. Elle sonne déjà le glas d’un marketing de l’excès et donne aux marques de bonnes raisons d’agir autrement.

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