Tribune
A l’instar de ses spécificités industrielles et de son identité visuelle, la fonte d’une marque – autrement dit son identité typographique – est un outil et une composante stratégique fondamentale de la communication d’une marque. C’est d’autant plus vrai sur des marchés internationaux aux systèmes d’écritures et aux graphies différents.

Si le langage économique ne connaît pas de frontières, il n’en va pas de même pour le langage visuel. Icônes, pictogrammes, graphies, systèmes d’écritures : autant de signes qui restent propres à chaque peuple, à chaque langue et à chaque culture. C’est dire si la sémiologie, littéralement l’étude des signes linguistiques à la fois verbaux et non verbaux, est une science aussi passionnante que complexe.

Dans le cas des marques, la sémiologie est pourtant essentielle. Tout autant que ses potentiels atouts industriels concurrentiels et que son identité visuelle, la manière dont la marque communique à l’écrit porte son discours auprès des consommateurs. La typographie est, en quelque sorte, sa voix. Si la marque communique sur son marché natif, le langage visuel et en particulier la typographie lui sont totalement familiers. Lorsqu’elle se développe hors de ses frontières et loin du système d’écriture latin, les ennuis peuvent commencer.

La communication de la marque doit alors s’intéresser à des cultures, des philosophies différentes et adapter en conséquence son discours visuel à des graphies parfois ultra-complexes. Prenons les marchés asiatiques : Japon, Corée, Chine. Si les trois grands systèmes d’écriture européens – latin, cyrillic, grec – ne comptent au total que 500 à 1 000 glyphes (caractères spéciaux compris), une fonte destinée au marché chinois continental (dit « simplifié ») nécessite au minimum 7 000 glyphes, et 27 000 si l'on souhaite être exhaustif et toucher, en plus, Taïwan et Hong-Kong. C'est le choix fait par le groupe Renault, qui a dû adapter sa typographie à pas moins de dix scripts (systèmes d’écritures) différents.

Une expertise métier rare et coûteuse

Le cas du groupe Renault n’a rien d’isolé. Toute marque aux ambitions internationales doit avoir en tête cette nécessité qui est aussi un immense challenge : savoir communiquer dans tous les systèmes d’écriture et adapter ses fontes aux marchés qu’elle cible. Le fond du sujet n’est pas technique, le métier si. Parler la langue n’est pas nécessaire. On peut même être plus créatif sans idées préconçues. Connaître l’ensemble des caractères, en revanche, est une base. Il s’agit de disséquer le système d’écriture. Il faut savoir dessiner ces caractères correctement et dans une forme qui va paraître naturelle aux populations ciblées.

Parfois, il faut inventer de nouveaux symboles, créer ex nihilo des caractères ou des pictogrammes. Il faut, encore, rendre ces fontes de caractères fonctionnelles, le tout dans le style de la marque. Le digital a aussi bouleversé certains codes et complexifié les adaptations selon que l’on communique sur papier ou sur le web. La fonte doit être conçue et testée pour s’adapter à tous les supports de communication et tous les logiciels, optimisée pour s’afficher sur tous les écrans, pour les basses résolutions et les petites tailles. Reste, enfin – et c’est le travail d’experts autochtones – que ce langage typographique traverse les frontières et fonctionne dans tous les pays de façon harmonieuse.

Tout cela nécessite du temps, des savoir-faire – le recrutement de collaborateurs autochtones aptes à travailler en réseau sur les projets – et la mise en place d’outils collaboratifs. Il a fallu deux ans de travail pour mettre au point les fontes asiatiques du groupe Renault. Et ce, alors que le temps, pour les marques, presse toujours.

La fonte, plus forte que le symbole

Ce savoir-faire complexe, aucune agence de design ni aucune agence de branding traditionnelle ne peut réellement l’offrir aujourd’hui. Pour ne rien arranger, il existe très peu de formations en France. Seules une poignée de « fonderies » très spécialisées sont aptes à fournir ce travail parfois colossal que représente l’adaptation des fontes. Il n’est pas toujours aisé de faire comprendre aux marques la difficulté de ce métier, encore moins son coût.

Si l’on se souvient du fameux fondement du marketing « Brand is what brand does » (une marque est avant tout ce qu’elle fait), la fonte n’a rien d’une simple décoration. Au cœur même de l’identité de la marque, elle en constitue un code fort. Plus forte, même qu’un symbole, la fonte sans qu’on puisse réellement définir pourquoi, entre dans l’inconscient des consommateurs. Comme pour les parfums, la fonte est la « note de fond » de la marque. Elle fait partie des actifs identitaires de la marque, dont elle renforce l’expression et incarne les valeurs. Elle permet au consommateur d’avoir une expérience cohérente avec la marque.

A l’instar de ce qu’apporte le sound design – l’identité sonore –, la fonte est un enjeu stratégique et de différenciation pour les marques. La fonte est la voix de la marque. Parfois difficile à percevoir et comprendre, elle est pourtant essentielle.

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