La consommation semble porter étymologiquement ou ontologiquement les germes de sa propre contradiction. Pas uniquement lorsqu’elle est sur-consommation ou sur un mode effréné. Consommer, c’est brûler, c’est se servir d’un bien qui se détruit à l’usage ou encore mener une tâche à son terme… Aujourd’hui, plus que jamais, la consommation voit ce caractère antinomique émerger au grand jour et le consommateur occidental doit faire face à des injonctions contradictoires manifestes.
Sur les cinq continents, Soon Soon Soon est aux avant-postes pour percevoir et analyser les manifestations concrètes de ce tiraillement. Signaux faibles ou tendances durablement installées, nous assistons au quotidien à la naissance de nouveaux produits, services et entreprises au sens premier du terme.
En France comme dans de nombreux pays, la tendance est au bio, aux circuit-courts, à la consommation responsable… L’authentique est érigé en principe et la consommation en acte citoyen, sur le terrain de l’alimentation, de la mode, ou encore de la mobilité. Partout fleurissent des initiatives valorisant le naturel, le sur-mesure, le fait-maison, la location partagée ou visant à limiter l’empreinte environnementale de nos achats et comportements, et plus seulement à coups de hashtags et de mise en scène sur les réseaux sociaux. Exemple paradigmatique et très concret : le flystagge (ou la honte des Suédois de prendre l’avion) a même conduit à un recul du trafic aérien de plus de 6% sur le premier semestre 2019 !
Les nouveaux acteurs de cette tendance ne sont plus (seulement) les marques et les retailers. Face à la demande de lisibilité de la chaîne de valeur et de transparence, un double mouvement est à l’œuvre : la désintermédiation (qui voit en France le rôle des grandes surfaces plus que questionné) et l’émergence de nouveaux intermédiaires. Ainsi sont nées les applications telles que Yuka et Clear fashion pour ce qui est de l’impact environnemental de la consommation, ou To good to go et Karma sur la valorisation des invendus.
Immédiateté
La contradiction de la consommation contemporaine ne s’arrête pas là. Car simultanément, on assiste à une demande croissante de technologie, d’innovation et d’universalité. Le consommateur que nous sommes a envie de tout, tout de suite, tout le temps. Immédiateté, disponibilité ou assortiment ne sont plus des termes réservés aux experts. En faisant de l’expérience et du parcours client la pierre angulaire de leur stratégie, le retail et ses parties prenantes sur toute la chaîne de valeur ont stimulé l’innovation et l’inventivité.
La livraison en un jour des géants du e-commerce va de pair avec le tourbillon des collections de l’économie de la fast fashion mais aussi avec un bouleversement de la logistique du dernier kilomètre, ou une redéfinition de la structure et des usages de l’espace public. Qui dit click & collect aujourd'hui dit reconfiguration des gares, de l’organisation et de la fonction des points de vente, émergence de nouveaux acteurs, de nouveaux rôles sociaux…
L’envie d’immédiateté, de disponibilité illimitée des produits comme des services font aussi naître des boutiques sans vendeurs (Singtel) ou des hôtels opérés par des robots (Flyzoo). Plus encore, la promesse de l’illimité, née de l’abonnement aux services digitaux, dont Netflix apparaît comme la manifestation la plus aboutie, arrive également sur la consommation de biens. Nike vient ainsi de lancer un abonnement pour les baskets enfants, avec un forfait premium pour une paire de chaussures par mois.
Face à ses contradictions, le consommateur est plus que jamais posé en position d’arbitre et d’acteur. En posant implicitement ou explicitement la question de la soutenabilité du modèle de consommation, il dessine le monde de demain, bien au-delà des frontières du retail. Les acteurs de l’entreprise doivent donc plus que jamais se poser la question du sens et de la stratégie.