Le nudge marketing vise à orienter les choix des personnes d’une population ciblée. A travers un dispositif souvent très simple, il permet de changer leur comportement pour leur propre bien ou celui de la collectivité, sans contrainte ni obligation, en laissant toute liberté de choisir. Le nudge, c’est donc le petit encouragement presque imperceptible qui nous aide à prendre de bonnes décisions, nous pousse à adopter un comportement positif. Chaque jour, nous sommes amenés à prendre des milliers de décisions, qu'elles soient conscientes ou inconscientes, influencées par nos émotions, nos interactions sociales, notre environnement. Nous faisons notamment des raccourcis mentaux qui nous permettent de nous adapter rapidement à une situation en évitant d’y réfléchir trop longtemps. C’est pourquoi nous prenons des décisions très souvent irrationnelles.
Ce constat autour du processus de décision a d’ailleurs donné naissance à la théorie de l’économie comportementale au début des années 2000. Initiée par Richard Thaler, économiste américain et théoricien de la finance comportementale (Prix Nobel d’économie en 2017), elle repose sur l’identification et la compréhension des différents facteurs d’influence dans nos prises de décisions.
Cette théorie s’appuie notamment sur les travaux de Daniel Kahneman, psychologue et économiste américano-israélien (Prix Nobel d’économie en 2002), concernant le rôle que jouent les erreurs de jugement, les émotions, et les normes et interactions sociales dans les processus de décision des individus. Dans son ouvrage intitulé «Système 1, système 2, les deux vitesses de la pensée», Daniel Kahneman décrit ainsi les deux systèmes qui régissent notre façon de penser, et donc notre prise de décision. Le système 1 est un schéma de pensée rapide et intuitif, lié à nos émotions. Le système 2 est quant à lui plus lent et réfléchi, et s’appuie davantage sur une logique. C’est au système 1 que va s’adresser le nudge.
Optimiser les programmes gouvernementaux
Cette technique peut être appliquée dans bien des domaines. Elle a notamment été adoptée par le gouvernement de Barack Obama à travers la création d’une équipe dédiée, la Social and Behavioral Sciences Team, dont le but est d’optimiser l’impact des actions et programmes gouvernementaux auprès de la population en exploitant les idées notamment issues de la théorie de l’économie comportementale. Appliquée ainsi par les pouvoirs publics, l’objectif est d’inciter les citoyens à adopter des comportements plus responsables.
Par exemple, en matière de santé publique, sur des problématiques comme la lutte contre le surpoids des enfants, des actions simples peuvent être menées dans les cantines, comme de réorganiser l’étalage des aliments en plaçant les plus sains à portée de vue des enfants, et les moins diététiques au second plan. Ainsi, la liberté de choisir est bien respectée mais un effort supplémentaire devra être effectué par l’enfant qui souhaite manger un gâteau plutôt qu’un fruit. Dans la sécurité routière, le nudge consiste par exemple à réduire progressivement la distance entre les lignes blanches de la route avant un virage dangereux. Résultat : le conducteur voit les lignes défiler de plus en plus vite, ce qui lui donne l’impression que sa vitesse augmente. Il aura alors tendance à freiner plus tôt.
Pour les entreprises privées, le nudge peut être utilisé pour améliorer le rendement des stratégies marketing. Le fait est qu’il y a souvent un décalage entre les paroles et les actes du consommateur. Prenons par exemple un produit du quotidien, écologique. A l’heure où l’avenir de la planète touche largement la conscience collective, il est presque certain que les études marketing montreront qu’à la question «achèteriez-vous ce produit ?», une majorité de consommateurs répondra positivement. Mais encore faut-il que l’action se produise ensuite de façon concrète.
Risque de mauvais usage
En comprenant mieux les comportements humains dans leur dimension irrationnelle, le marketing peut alors mener des actions plus efficaces. Des actions qui agissent sur les leviers de décision du consommateur parce qu’elles vont dans l’intérêt de celui-ci, dans l’intérêt de la société ou encore de celui de la planète. Par exemple, la marque de lessive Ariel (Procter & Gamble) a encouragé ses clients à être plus respectueux de l’environnement en ajoutant sur les packagings de lessive la mention «turn to 30», accompagnée d’un message simple permettant de rassurer le client sur l’efficacité du produit même à cette température, et mettant en valeur l’impact positif que cette action du client peut avoir sur l’environnement. Dans cet exemple, la combinaison des messages «geste pour l’environnement» et «efficacité» pourra jouer en faveur de l’acte d’achat du consommateur.
Une chose est sûre, nous sommes des êtres hautement influençables. Notre cerveau en est le fautif puisqu’il accumule depuis notre naissance ce que l’on appelle des biais cognitifs, c’est-à-dire des mécanismes de pensée qui entraînent une déformation de l’information lors de son traitement, ce qui provoque une déviation du jugement. Si le nudge s’adresse à nos émotions et notre intuition (le système 1 de Kahneman) pour orienter nos décisions, s’agit-il d’une manipulation ? Et si manipulation il y a, peut-on encore parler de libre arbitre ? Par extension, une démarche qui s’appuie sur le nudge pour nous faire prendre une décision n’est-elle pas une démarche qui, finalement, fait déjà des choix pour nous ?
Dans le cadre de politiques publiques et de santé, le côté vertueux est facile à appréhender, mais appliqué au secteur privé dans le cadre de campagnes marketing, le risque de mauvais usage existe et c’est pourquoi une phase de réflexion (le système 2 de Kahneman) peut s’avérer utile. L’intuition est une forme d’intelligence à laquelle nous pouvons nous fier au quotidien. Néanmoins, quelle que soit la décision à prendre, il est essentiel d’avoir un certain recul, et de prendre parfois le temps de faire appel à notre intelligence plus raisonnée et plus logique.