Chronique

C’est la rentrée. On se retrouve. Mais nous étions-nous vraiment quittés ? Finalement pas tellement, grâce à la magie d’Instagram. Cet été, vous avez probablement été inondés de couchers de soleil, de plages et de régime crétois. Dans ce format carré, désormais en musique, nous avons un peu passé nos vacances ensemble : vous ne me ferez plus croire que la digital detox est une aspiration partagée.

Mais tout le monde n’était pas en vacances, il s’en est passé des choses cet été. Google, à peine plus de 20 ans, est devenue l’entreprise la plus riche au monde. Ses réserves en liquidité ont dépassé les 100 milliards, 117 exactement. Devant Apple. De quoi s’offrir Carrefour, Orange, Accor et Danone, comme nous une baguette de pain ? Au moment où la France a courageusement poussé jusqu’au G7 l’idée d’une taxe Gafa, on ne peut plus ignorer la captation de la valeur des grandes plateformes sans ouvrir le débat de son partage. Surtout quand les perspectives du secteur des médias et de la publicité sont si peu réjouissantes.

Scandale de l’été, le Guardian révèle une nouvelle affaire d’écoutes : les assistants vocaux se font assister par des humains. La parabole du Mechanical Turk n’est pas nouvelle mais ce qui est plus gênant, c’est d’être écouté à son insu, par des inconnus. Facebook, Apple et Google – sans exception – sont concernés. J’entends dire de plus en plus que la coupe est pleine, que cette fois, « on ne m’y reprendra plus ». Que nenni, je n’y crois pas. Un peu comme les taxes ou les réglementations qui arrivent trop tard, nos exigences d’aujourd’hui s’appliqueront à d’autres demain. Vus mais pas pris, ces acteurs qui ont triché et construit leur avantage dans le Far West numérique veilleront demain à nous rassurer sur leurs pratiques et nos données. Je crois qu’ils peuvent y arriver.

Le grand capital devient responsable

D’ailleurs, c’est encore une tendance qui s’est affirmée cet été : le grand capital est devenu responsable. 181 grands patrons américains, dont Tim Cook et Jeff Bezos, représentant 30% de la capitalisation boursière du pays, et réunis sous la bannière Business Roundtable, ont publié un manifeste visant à remplacer tout ce qu’ils avaient préconisé jusqu’ici pour le management des entreprises. Dans les grandes lignes, « l’optimisation de la valeur pour les actionnaires ne doit plus être l’objectif primordial d’une entreprise » et « la norme moderne en matière de responsabilité d’entreprise » consiste à « investir dans ses employés, offrir de la valeur aux clients, traiter de manière éthique avec les fournisseurs et soutenir les communautés dans ses environnements opérationnels ».

La semaine dernière enfin, deux de mes sujets d’étude favoris se sont télescopés. Axel Springer, groupe media allemand, a annoncé être détenu à 42,5% par le fonds américain KKR (Kohlberg Kravis Roberts). Axel Springer, selon moi première entreprise européenne à avoir achevé sa transformation, est un modèle pour de nombreuses raisons : évoluant dans le premier secteur touché par la révolution numérique, l’Allemand a, à coup d’acquisitions brillantes, de recrutements, de développements pertinents, réussi à basculer son modèle et ses revenus pour être désormais majoritairement « en ligne ». C’est aussi l’entreprise qui a le plus porté le fer en Europe contre les grandes plates-formes et réussi à établir un modèle de partenariat « coopétitif » performant avec elles.

KKR est l’un des plus anciens et puissants fonds au monde, spécialisé dans la technique du LBO, qui s’est fait connaître dans les années 1980 par les plus grandes OPA hostiles de l’histoire – la plus fameuse deviendra un grand roman, Barbarians at the gate. KKR en France, c’est aussi au moins deux de nos meilleures pépites. OVH, leader du cloud, superbe champion dont on ne parle pas assez, et le rachat de Captain Train qui vend des billets de train, désormais sous pavillon Trainline. KKR a donc décidé d’investir et de parier sur nos infrastructures (cloud et ferroviaires) et nos premiers champions transformés.

Oui, les Américains travaillent au mois d’août quand les Européens font les cigales. Faisons bien attention à ne pas nous retrouver dépourvus quand la bise sera venue… d’autant qu’il faudra désormais faire nos devoirs de rentrée pour nous donner les moyens d’un numérique vertueux et de ces nouvelles normes éthiques du capitalisme.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :