Il est amusant (puisqu’il est poli d’être gai) de constater que certains, telle Mercedes Erra depuis la tribune de l’AACC, découvrent avec emphase (et quelques clichés) des problématiques qui se posent depuis des années aux professionnels du conseil - et pas seulement aux publicitaires : consultations indignes, méthodes iniques, irrespect des process et des bonnes pratiques qu’ils impliquent, cost-killing outrancier... Dans le même temps, ironie du sort, certains n’ont à la bonne bouche que transparence, bienveillance, respect, équité... - peut-être sur le conseil de leurs communicants. Tout cela nous transforme peu à peu en gladiateurs romains dans la fosse aux lions.
Il y a un peu plus de trois mois, quand Guillaume Pannaud, le président de TBWA France, mettait les pieds dans le plat en quittant l’AACC pour partie sur ces sujets, Laurent Habib, son président, lui répondait : « Que cherches-tu à justifier ainsi, en suggérant l’existence d’une crise qui n’existe pas ? ». Je ne me souviens pas avoir entendu Mercedes Erra lui rappeler à l’époque que la crise existait, et qu’elle n’était pas seulement économique mais aussi déontologique et d’une certaine façon culturelle. Alors même qu’elle nous alerte aujourd’hui : « la profitabilité de nos entreprises n’aurait cessé de diminuer depuis 2007, passant de 8% en 2007 à 3% en 2015 ».
Pour attester sa sérénité sur la bonne santé des agences, Laurent Habib affirmait, quant à lui, dans sa lettre ouverte, que leur « résultat d’exploitation s’est maintenu à 5%, sans variation significative tout au long de la période », c’est-à-dire entre 2007 et 2015. Cherchez l’erreur…
Financer la croissance et l’innovation
Le problème est que ce chiffre, censé rassurer, ne dit rien du contexte et qu’il ne saurait satisfaire une agence qui cherche à financer de la croissance et de l’innovation via ses marges. D’ailleurs, Babel annoncera quelques jours plus tard la création de l’agence Belle, le groupe évoquera une équipe à termes de 15 à 20 personnes et un objectif de marge brute de 5 millions d’euros avant la fin de l’année. Il ne faut pas être un fin analyste pour comprendre qu’avec un tel ratio, le résultat d’exploitation dépassera sensiblement ces 5% dont il se félicite pour les autres mais dont il ne se satisfait pas manifestement pour lui-même – à juste titre.
La vérité est que les grandes agences (et d’autres, y compris parmi les plus petites) ont joué cyniquement avec le feu en pensant tirer profit de cette dégradation et qu’elles se découvrent elles aussi entraînées sur une mauvaise pente, perdant peu à peu le respect de leurs clients, et le pouvoir associé à celui-ci. En acceptant de jouer entre elles une concurrence outrancière, via des consultations de plus en plus douteuses et mal ficelées, les agences se tirent toutes une balle dans le pied, et le sachant, elles cherchent le plus souvent en réalité à gagner les compétitions en dehors du ring, cultivant des relations privilégiées avec les donneurs d’ordre pour mieux contourner l’obstacle. Réseautages et coups d’éclats participent de cette stratégie.
Ceci étant dit, il faut aussi saluer, dans ce contexte, celles et ceux, encore majoritaires, dans les entreprises et les organisations qui sauvent et honorent, par leur professionnalisme, leur intégrité et leur respect, la qualité de collaborations loyales, saines et constructives. La vérité de nos métiers est que nous sommes avant tout des partenaires de nos clients - et pas de simples prestataires. Chaque fois que nous gagnons un projet, une mission, nous montons à bord, y mettant notre cœur et nos tripes, et les objectifs de nos clients deviennent nos objectifs (ce qui ne nous empêche pas comme toute entreprise d’être soucieux d’être rémunérés au juste prix, dans le cadre de process sérieux). Cette éthique mérite le respect.