Tribune
Le marché a besoin d’une norme pour mesurer les performances incrémentales liées aux campagnes digitales.

La capacité de mesure des résultats des campagnes marketing a explosé avec l’essor du digital. Il est désormais possible de tout mesurer, tout analyser et les attentes des annonceurs sur ce sujet sont devenues très élevées. La notion de ROI est dans toutes les têtes, toutes les réunions, tous les briefs… Cette exigence nouvelle oblige les apporteurs de solutions à communiquer sur les résultats de leurs actions et donc à tenter de prouver l’efficacité de leurs dispositifs. L’enjeu qui se cache plus spécifiquement derrière la mesure de la performance incrémentale est de taille : l’annonceur se retrouve en capacité de déterminer les ventes additionnelles directement liées aux actions digitales mises en place. Dans le cas précis des opérations destinées à créer du trafic en magasin, la mesure de la performance incrémentale sur les visites et les ventes devient incontournable et le taux d’incrément devient le Graal pour piloter avec précision ses investissements…

La mesure des incréments de visites et de ventes, devenue stratégique, est très complexe à mettre en œuvre et se heurte aujourd’hui à un problème majeur : sa fiabilité. De nombreuses techniques existent mais ne se valent pas. Les traditionnelles techniques d’attribution (post view/post clic), qui consistent à donner un poids à chaque support dans la construction de la performance constatée, manquent de précision et survalorisent quasi systématiquement le dernier point de contact. Les analyses temporelles qui consistent à mesurer les résultats avant, pendant et après la campagne ont également montré leurs limites.

Actuellement, les méthodes les plus prometteuses sont celles construites autour de l’observation de deux échantillons de population distincts (exposés/non exposés) mais elles sont aussi les plus difficiles à mettre en œuvre, particulièrement lorsqu’il s’agit de mesurer les performances d’une action digitale sur des ventes en magasins. La passerelle entre le monde digital et le monde physique fait apparaître de nombreuses difficultés supplémentaires. Il est particulièrement difficile de gérer l’exhaustivité et la durée de vie des ID publicitaires, les ruptures de données (online/offline)… La question de la mesure est centrale pour le marché de la publicité digitale. Une mesure qui n’a de valeur que sa fiabilité.

Une course aux taux d’incrément

Pour répondre aux attentes grandissantes du marché, la machine s’est emballée. Une véritable course aux taux d’incrément, toujours plus impressionnants, s’est engagée. Il n’est désormais plus rare de lire qu’une solution digitale aurait engendré un taux d’incrément à trois chiffres. J’aimerais pouvoir vous dire que ces solutions sont à ce point efficaces mais ce type de martingale n’existe pas, y compris dans le digital. Si c’était le cas, toutes les start-up du secteur seraient probablement déjà cotées au Nasdaq.

Ces taux excessifs reposent, soit sur des méthodes de calcul qui ne prennent pas en compte les nombreux biais et sont donc invalides, soit sur des volumes très faibles et donc non représentatifs car difficilement transposables sur des volumes beaucoup plus larges. Dans ce dernier cas, il serait concevable de multiplier par trois les ventes d’un produit initialement vendu à quelques exemplaires mais beaucoup plus compliqué d’appliquer ce même taux d’incrément à des produits vendus à des dizaines de milliers d’exemplaires. Aujourd’hui, ces chiffres exagérés arrivent parfois à faire rêver certains annonceurs, mais à moyen terme, ils les déçoivent, et à long terme, ils risquent de déstabiliser, voire même décrédibiliser, le marché dans son ensemble. La menace est bien réelle.

Bien qu’il s’agisse de la méthode la plus complexe à mettre en œuvre, il faut persévérer dans les modèles de calcul qui reposent sur la comparaison d’échantillons de population, en veillant à leur caractère aléatoire et parfaitement étanche. L'approfondissement de cette méthodologie permettra de calculer des incréments de ventes plus fiables dans la mesure où ils ne seront liés qu’à une seule variable : la campagne digitale mesurée.

Une solution collective

Il faut aussi attendre plus de transparence de la part des prestataires et demander par exemple l’intervalle de confiance lié au taux d’incrément annoncé, comme le font notamment les instituts de sondage. Les résultats seront certes moins vendeurs que des taux à 3 chiffres mais beaucoup plus réalistes et peu à peu partagés par tous.

Franprix, par exemple, travaille depuis plusieurs années sur la problématique complexe du drive-to-store en distribution alimentaire, secteur dans lequel il est particulièrement difficile d’avoir un impact sur les volumes. L’enseigne a ainsi pu mesurer l’efficacité de ses campagnes, en toute transparence, et constater une croissance de 5% du nombre de paniers d’achat et une hausse de 3,3% du nombre de créations de cartes de fidélité.

La solution ne viendra pas d’un seul acteur. Elle devra être collective. Comme ceci a été fait pour normaliser des indicateurs plus basiques tels que le clic ou l’impression sous l’impulsion de l’IAB (Interactive Advertising Bureau), le regroupement de plusieurs acteurs autour de ce sujet pourrait permettre de créer une dynamique. Le marché a besoin de plus de méthodologie, plus de transparence et plus de collectif en vue de l’émergence d’une norme qui sera bénéfique pour tous.

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