«Narcissiques mais engagés, nonchalants mais hyperactifs, slasheurs mais à la recherche de stabilité» : voilà le portrait d’un millennial brossé par des pôles marketing en quête de cases à cocher pour cibler leurs campagnes. Urbain, arty, militant, créa… Sommes-nous condamnés à vivre dans une story Instagram ? Cette fiche d’identité, martelée sur toutes les plateformes, est devenue le socle de l’ère du snack content sur lequel les marques règnent depuis quelques années.
Pourtant, Vincent Coquebert, auteur de l’essai Millennials : Burn-Out, remet les pendules à l’heure : le ciblage générationnel est une arnaque marketing créée par des planneurs stratégiques et utilisée depuis les années 50 pour mieux vendre un produit, en oubliant complètement des critères socio-démographiques. Les millennials, au paroxysme des stéréotypes, sont décrits comme «éduqués» et caractérisés par le fait de vouloir «tout, tout de suite». En réalité, cette génération, résumée à deux lignes caricaturales et vaguement péjoratives, est avant tout technophile et technophobe, accro aux réseaux mais bien plus prudente sur son image en ligne que ses aînés, à la fois hyper-consumériste et hyper-consciente des enjeux de développement durable.
Exit le ciblage générationnel : pour sortir de ces logiques périssables, les marques s’aventurent de plus en plus vers un marketing des tribus. L’idée n’est plus de cibler par âge mais par comportement social pour fédérer des adeptes autour d’une passion commune – un levier qui est d’ailleurs à l’origine des communautés fondées par les influenceurs. C’est sur cette stratégie qu’Apple a bâti toute sa notoriété. Le slow content a en effet permis à la marque de créer un lien particulier entre son ADN et ses clients, de dépasser le produit pour rassembler une population autour d’idées fortes qui transcendent les générations : allier technologie et simplicité, par exemple. Aujourd’hui, ce slow content s’appuie sur des valeurs puisées dans des mouvements sociétaux comme #MeToo ou les marches pour le climat, et réussissent à surpasser l’écosystème médiatique pour résonner vers des consommateurs en quête de sens et d’authenticité.
Le rôle des marques
C’est désormais aux entreprises de se responsabiliser pour répondre à ces nouvelles exigences des consommateurs, friands de campagnes qui vont plus loin qu’une jolie photo Instagram. A l’image de Carrefour et de son Act for Food, 55% des consommateurs français estiment que les entreprises ont un rôle à jouer plus important que les gouvernements pour faire progresser la société et 75% des consommateurs admettent acheter des marques qui partagent leurs valeurs. Or, ces valeurs ne peuvent se construire sur des contenus «snack» ; c’est uniquement sur du long-terme que les marques pourront développer leurs valeurs et prendre part à des mouvements sociétaux, en boostant leur notoriété au passage.
Le slow content, qui s’inscrit dans le «slow life», devient alors un incubateur de valeurs durables par essence, et permet aux marques de revenir à leurs sources, de reconstruire leur audience sur un storytelling fédérateur et transgénérationnel. C’est d’ailleurs le parti pris d’Interbev, interprofession rassemblant les professionnels de l’élevage et de la viande, qui a observé l’évolution des comportements alimentaires et l’essor d’une consommation raisonnée, raisonnable et locale. La marque a lancé une campagne de notoriété s’inscrivant dans ces valeurs contemporaines en prenant le contrepied de l’argumentaire commercial habituel : plutôt qu’inciter à consommer plus de viande, elle propose, via un long spot qui happe le spectateur, de devenir «naturellement flexitarien», «aimez la viande : mangez-en mieux».
Cette logique efficace mise sur le slow content et pourrait aussi bien s’adresser aux marques et à leurs logiques de communication aujourd’hui universelles : produisons moins, communiquons mieux.