Nous clamons à tout-va notre ouverture à l’autre, mais nous vivons plutôt dans une culture de la définition et de la classification du moi par rapport à l’autre, ce qui nous entraîne sur la pente glissante de l’exclusion. Le handicap et ses représentations négatives conscientes ou inconscientes n’échappent pas à la règle, alors qu'il fait partie intégrante de notre société et qu'il concerne peu ou prou 12 millions de Français. Admirer Tyrion Lannister dans Game of Thrones est chose aisée, mais est-on prêt à partager son bureau avec une personne de petite taille ? Voire même à accepter que ce collègue ne soit justement pas un super-héros, mais un humain «moyen», à l’image de soi-même ?
Traduction achétypale du handicap
Trop de campagnes de communication, internes ou externes, proposent une traduction archétypale du handicap, la personne en fauteuil roulant (5% des personnes en situation de handicap), généralement souriante au milieu de ses collègues tout aussi ravis d’avoir la chance de travailler en sa compagnie. Non, les travailleurs handicapés ne sont pas tous efficaces, créatifs, intuitifs et/ou inspirants, mais nos collègues dits «valides» le sont-ils davantage ? Le temps est venu de la communication vérité sur le sujet, ce qui pourrait donner de meilleurs résultats.
Le champ du handicap, tout d’abord, est très méconnu : saviez-vous que 80% des handicaps sont invisibles (psychiques, maladies invalidantes...) ou que 2,5 millions de personnes en France sont porteuses de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) ? Arrêtons ensuite de donner une image lisse du handicap en entreprise. Stop aux campagnes hyperboliques qui voudraient faire croire que le handicap n’empêche pas les compétences – un leitmotiv. Car si, justement : être en situation de handicap est encore aujourd’hui un frein pour étudier, se former, être recruté, être promu. Peu de filières académiques ou de parcours de formation internes sont adaptés. Positionnons nos campagnes avec discernement.
Sortir du ghetto
Il est aussi temps que la politique handicap soit hissée au rang de projet RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Dans le cadre de la loi Pacte, le statut d’«entreprise à mission» permet à toute entreprise d’embrasser un objet social ou environnemental, aux côtés de sa finalité commerciale. C’est très louable mais attention à être bien aligné en interne avant de prendre des engagements d’impacts positifs sur son écosystème. À l’heure où la parole de l’entreprise est décriée et attaquée de toutes parts, y compris (et surtout ?) quand elle s’engage pour gagner en crédibilité et légitimité – voir le tollé suscité par les annonces de dons en faveur de la reconstruction de Notre-Dame – , le projet sociétal de chaque entreprise doit être construit, cohérent et holistique, et la politique handicap doit sortir du ghetto des DRH pour être portée au niveau de la direction RSE.
La prise en compte du handicap ne peut et ne doit pas se limiter à la nécessaire, mais non suffisante, prise en compte des aménagements physiques ou logiciels de compensation. Ce volet est d’ailleurs plutôt bien adressé par les DRH / Missions handicap pour 73% des intéressés, selon l'étude Handicap et Emploi du cabinet Occurrence pour Inspirience. Pour en faire un vrai projet d’entreprise et en améliorer l’opérationnalité, il faut donner à la politique handicap une portée transverse, et pas seulement RH ou communication, en faire un enjeu stratégique et engager toutes les parties prenantes, y compris les intéressés, dans son positionnement, sa définition et son déploiement. L’homme sans handicap ne serait que l’« omme » : l’entreprise a tout à gagner à le reconnaître, en matière de diversité, de cohésion sociale, de bien-être au travail et de performance globale.