Guillaume Pannaud, président de TBWA\France, a secoué le petit monde des agences en annonçant avec fracas le départ de son groupe et de ses filiales de l’AACC. En toile de fond, le sempiternel sujet des compétitions, ces fameux pitchs, inamovible Voldemort qui plane au-dessus du couple agences-annonceurs depuis des décennies. Mais derrière cette énième saillie, se cache la problématique, plus large, d’un système conscient des mutations de la société et du marché du travail, mais qui peine à changer. Surtout, un modèle d’accès aux projets qui a jusque-là failli à mettre au coeur de sa réflexion son atout le plus précieux : le talent humain.
Comment les agences peuvent-elles encore s’étonner qu’une marque puisse référencer plus de 20 compétiteurs après en avoir fait travailler le double pendant 6 mois ? Comment s'étonner d’une compétition qui n’en est pas une, d’un brief qui n’en est pas un ? Pourquoi ces mêmes agences s’obstinent-elles à aligner en pitch une équipe virtuelle, à proposer, comme une litanie lancinante, de refondre la plateforme de marque, avec des idées recyclées, des honoraires gonflés, un dumping destructeur de valeur ?
Au-delà des aspects structurel, organisationnel et financier que ces pitchs soulèvent se pose la question de la quête de confiance, de sens et de transparence qui devrait animer le choix d’un partenaire. Ce choix doit respecter les intérêts réciproques des acteurs et nourrir la valeur de marque. Il s'agit d'un choix qui est surtout, une fois la question des expertises réglée, un choix humain. Car en dépit de la quantité de matière produite lors de cet exercice, la valeur de l’idée et des concepts sont rarement déterminants dans le choix du partenaire, alors que la dimension humaine reste centrale. Comment créer les conditions du succès quand le terreau sur lequel doit germer la relation est contaminé par un manque d’équité et de transparence, de défiance et de frustration, un épuisement des forces en présence ?
Changeons mieux pour ne pas changer
Le modèle de compétition semble voué à être perdant-perdant. Et même s’il est injuste de dire que rien n’a bougé – voir le moratoire et autre charte – , les tentatives d’améliorations s’apparentent à des coups d’épée dans l’eau tant elles semblent inadaptées au pluralisme de la nouvelle équation en présence. «Tout est en train de changer dans notre métier», notait Laurent Habib, président de l'AACC. Difficile de ne pas être d’accord.
Ces mutations, qui dessinent le renouveau de la communication, précipitent l'obsolescence d’un modèle définitivement inadapté. Inadapté car la nouvelle temporalité d’action à laquelle les marques doivent faire face ne peut s'accommoder de mois de tergiversations autour de présentations poudre aux yeux et de concepts dépassés avant d’être nés. Inadapté car accélérateur d’un profond déséquilibre concurrentiel entre les acteurs, cabinets de conseil, agences et les indépendants. D’un côté, il y a ceux qui ont la capacité d’assumer financièrement une participation à ces compétitions, de l’autre ceux qui ne le peuvent pas. Enfin, et c’est le plus important, inadapté parce que pensé pour mettre en compétition des acteurs qui ne sont plus les détenteurs du talent et des expertises nécessaires aux nouveaux enjeux des marques.
«Les meilleurs talents ont de moins en moins envie de notre métier», affirme Guillaume Pannaud. Faux. Les meilleurs talents font surtout de plus en plus le choix de l’indépendance. Et une fois indépendants, ils refusent bien souvent de participer aux compétitions...
L’intelligence collective en action
Comment une marque en quête d’excellence pourrait-elle alors justifier de se priver de ce qu’il y a de mieux dans un système excluant par nature ? Ce serait un non-sens. Pour s’adapter à ce nouveau paradigme, coupons court à la politique et aux paillettes. Dépassons l’écueil des meetings à rallonge au profit d’exercices alternatifs plus agiles et collaboratifs. Plaçons l’humain au coeur de la formule dans une logique de construction collective de la marque.
Plutôt que ces vaines compétitions, une marque peut mettre en place des sprints de cocréation rémunérés pour répondre à la question : comment allons-nous collaborer ensemble ? Elle peut aussi apporter une solution tangible à cette autre question : que produisons-nous pour répondre à cette problématique, ce besoin du moment ? Autre approche : généraliser le fonctionnement aux projets et non plus aux honoraires, afin de toujours avoir accès aux expertises les plus adaptées tout en évaluant en continue la compatibilité des hommes et des idées.
À une époque où les grandes réflexions stratégiques et les projets plus opérationnels cohabitent sur un même axe temps, ces approches permettent aux marques de réaligner besoin-nature-disponibilité des ressources et de remettre le sens et la qualité au coeur de la création de valeur. Le modèle des agences est-il adapté ? Rien n’est moins sûr, mais heureusement pour les marques, les solutions alternatives existent bien.