Alors que démarre la huitième et dernière saison de la série culte Game of Thrones et que beaucoup d’observateurs estiment que c’est un phénomène télévisuel d’une puissance qui ne sera jamais égalée, puisque les séries sont désormais livrées en pack de dix épisodes consommables en un week-end sur une variété d’écrans, on peut s’interroger sur les leçons que les marques peuvent tirer du succès planétaire remporté par ce bijou de la pop culture.
Une des choses que les créateurs de Game of Thrones (GoT) ont su accomplir avec un insolent brio, c’est faire voler en éclat un des dogmes qui régissait l’écriture des séries : on ne tue pas le personnage principal, jamais, surtout pas durant la première saison, et en aucun cas si c’est l’acteur le plus connu de tout le casting (pratiquement le seul qui jouit d’une certaine notoriété au début de la série). En décapitant Ned Stark (Sean Bean, un des héros du Seigneur des Anneaux) durant l’épisode 9 de la saison 1, GoT donne le ton de ce qui sera une de ses marques de fabrique : attendez-vous à l’inattendu.
Les morts de personnages clés se succèdent non seulement à cadence soutenue mais la spectacularisation de leur passage de vie à trépas met en pièce tous les manuels. Dans GoT, le génie des show runners est aussi de ne pas s’enfermer dans la formule des «shocking deaths» (morts choquantes) qu’ils ont eux-mêmes créées en ne sacrifiant plus aucun héros majeur depuis que la série s’est affranchie des livres de George R.R. Martin en fin de la saison 5. Leur analyse est implacable : quand tout est choquant, plus rien n’est choquant.
Avoir le culot de briser les règles
Dans cette série culte, de quoi les marques pourraient s'inspirer aux marques ? Dave Trott, publicitaire et auteur anglais, ouvre indirectement une piste de réflexion dans une tribune. «Pourquoi la plupart des pubs ne fonctionnent-elles pas ? Parce qu’elles sont justes. Elles ont été débattues, discutées, argumentées, briefées, testées, débriefées, re-briefées jusqu’à ce qu’elles deviennent justes», explique-t-il. On a presque envie de dire qu’elles sont juste justes.
C’est là tout le problème des best practices qui édictent des règles qui paralysent les réflexions, des benchmarks qui poussent au mimétisme et, surtout, de la frilosité ambiante qui gangrène chaque jour un peu plus les briefs donnés aux agences. GoT nous rappelle avec panache qu’avoir le culot de briser les règles reste l'une des façons les plus efficaces d’avoir de l’impact.
Les esprits chagrins diront que c’est évidemment plus facile quand on dispose de budgets pharaoniques comme HBO, mais 80 millions d'euros pour produire 420 minutes de fiction, ça fait le 30 secondes à 95 000 euros… C’est un clin d’œil bien sûr, mais l’alibi du manque de moyens ne peut pas tout expliquer.
Connecter une multitude de points isolés
Les sources d’inspirations suggérées par GoT dépassent d’ailleurs ces premières observations. Ce que la série accomplit aussi avec une redoutable efficacité, c’est agréger des univers extraordinairement complexes, avec pléthores de personnages et de lieux, autour d’un même arc narratif. Agathe Guerrier, patronne du planning chez BBH LA, résume joliment une des qualités que les patrons de marque devraient tous avoir aujourd’hui : réussir à connecter une multitude de points isolés pour les entraîner dans une direction porteuse de sens.
Un des tours de force de GoT est de transformer la carte des sept royaumes en personnage principal, l’intrigue bondissant d’un lieu et d’un groupe de personnages à l’autre, pour faire progresser la grande histoire et éviter ainsi le syndrome du film de 10 heures qui frappe la plupart des séries et qui provoque d’inévitables coups de mou à mi-saison. Rien de cela dans GoT, qui traite tout son écosystème avec un niveau d’attention étourdissant. Un exemple ? Hodor. Avec à peine 30 minutes de présence à l’écran (à comparer aux 338 minutes de Jon Snow) et des répliques qui tiennent sur un Post-it, le personnage et sa mort atteignent des sommets de dramaturgie. Dans GoT, tous les personnages sont importants et sont traités comme tels. Pas de place pour les personnages fluos sans nuance et sans profondeur.
Laissons le mot de la fin à quelqu’un qui a décidé de ne pas laisser aux séries le monopole de l’impact émotionnel, David Droga : « je suis obsédé par ce que les gens ressentent. Si ça ne provoque pas une réaction, à quoi bon ? Notre boulot, c’est d’émouvoir les gens. » Ne soyez pas juste juste. Soyez intéressant. Dans tout ce que vous faites.